Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome V.djvu/391

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

appelés à la sainteté. » Car, s’il est quelqu’un qui puisse s’attribuer d’obéir à celui qui l’appelle, personne ne peut du moins s’attribuer d’avoir été appelé. Enfin ces mots : «  Vocatis sanctis » ne doivent pas être entendus en ce sens que les fidèles de Rome ont été appelés parce qu’ils étaient saints ; mais en ce sens qu’ils sont devenus saints parce qu’ils ont été appelés.

8. Salutation — Il ne lui reste plus qu’à saluer les Romains, pour se conformer entièrement à la manière usitée de commencer les lettres. Mais au lieu de la salutation ordinaire, « Grâce à vous, dit-il, et paix de la part de Dieu notre Père et de Notre-Seigneur Jésus-Christ[1]. » Toute grâce en effet ne vient pas de Dieu. Les juges iniques accordent eux-mêmes des grâces, lorsque cédant aux attraits de la cupidité, ou à la terreur des menaces, ils font d’injustes acceptions de personnes. De même toute paix n’est pas la paix de Dieu, ou ne vient pas de lui ; de là cette distinction faite par le Seigneur lui-même : « Je vous donne ma paix » et c’est pour cela qu’il ajoute encore qu’il ne donne pas une paix semblable à celle qui est donnée par le monde[2]. Ainsi la grâce par laquelle nous recevons la rémission des péchés qui nous rendaient les ennemis de Dieu, cette grâce nous vient de Dieu le Père et de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Mais c’est la paix elle-même qui nous réconcilie avec Dieu. Lorsque par la grâce nos péchés sont pardonnés et que l’inimitié entre Dieu et nous a cessé, il faut encore que la paix nous tienne unis à celui dont nos péchés seuls nous séparaient violemment, suivant l’expression du Prophète Isaïe : « Il ne fermera point l’oreille pour ne pas entendre ; vos péchés eux-mêmes établissent une séparation entre Dieu et vous[3]. » Lorsque ces péchés auront été remis par la foi en Notre-Seigneur Jésus-Christ, toute séparation cessera pour faire place au règne de la paix.

9. Justice dans la grâce du pardon. — On se demandera peut-être avec étonnement s’il est possible de reconnaître la justice des jugements de Dieu, lorsqu’il accorde la grâce de la rémission des péchés ? Cependant rien de plus juste de la part de Dieu. Il est parfaitement juste en effet que ceux qui se repentent de leurs péchés, lorsque les châtiments de la vengeance divine ne se manifestent pas encore à eux dans tout ce qu’ils ont d’effroyable, soient par la miséricorde de Dieu, séparés de ceux qui s’obstinent à chercher des excuses à leurs crimes, et qui refusent de faire pénitence et de changer de vie. Ne serait-il pas injuste au contraire d’associer à ceux-ci, pour subir le même châtiment, ceux qui n’ont pas méprisé la voix de Dieu lorsqu’il les a appelés, ceux qui ont déploré en eux-mêmes leurs fautes et qui les ont détestées comme Dieu même les détestait ? Car enfin la règle de la justice humaine est d’aimer en nous uniquement ce qui nous vient de Dieu, et de haïr ce qui vient de nous ; de condamner nos iniquités, sans accuser cependant aucun autre que nous ; de ne pas penser qu’il suffit que nos péchés nous déplaisent, si nous ne sommes pas extrêmement vigilants et attentifs pour les éviter à l’avenir ; et de ne pas croire que nos forces suffisent, sans le secours de Dieu, pour éviter le péché. C’est donc, de la part de Dieu, un acte de justice de pardonner à ceux qui sont dans ces dispositions, quelques fautes qu’ils aient commises auparavant, afin qu’ils ne soient pas mêlés et confondus avec ceux qui ne sont pas ainsi disposés, ce qui serait souverainement injuste. Conséquemment, Dieu est juste en ne pardonnant pas à ceux-ci, et il est miséricordieux en pardonnant à ceux-là. Ainsi la, miséricorde de Dieu est juste et sa justice miséricordieuse, puisque la grâce divine précède tellement le mérite de la pénitence, que personne ne se repentirait de son péché, si Dieu ne l’avait averti et appelé d’une manière quelconque.

10. Obligation de faire pénitence, malgré le pardon accordé par Dieu. — Telle est cependant la rigueur de la justice divine, qu’après avoir remis au pénitent le châtiment spirituel et éternel, elle laisse peser sur chacun les douleurs et les supplices corporels, comme nous savons que les martyrs eux-mêmes en ont éprouvé, et n’exempte personne de la mort que la nature humaine a mérité par son crime. Nous devons même croire que c’est par un juste jugement de Dieu, que les hommes justes et pieux subissent eux-mêmes ces sortes de châtiments. C’est cette justice qui est appelée, dans les saintes Écritures, une correction à laquelle aucun homme juste ne saurait échapper. Car l’Apôtre n’excepte personne, lorsqu’il dit : « Dieu châtie celui qu’il aime, et il frappe de verges tout fils qu’il reçoit[4]. » De là vient, qu’accablé de tant de douleurs précisément afin de manifester aux hommes son courage héroïque et sa fidélité dans le service de Dieu, Job déclare si souvent que les souffrances de son corps

  1. Rom. 1, 7
  2. Jn. 14, 27
  3. Is. 59, 1-2
  4. Héb. 12, 6