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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VI.djvu/252

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L'un compte en descendant, l’autre en montant et tous deux comptent par – Joseph. Pourquoi ? Parce qu’il est père. Pourquoi père ? Il l’est d’autant plus sûrement qu’il l’est avec plus de chasteté.C'est dans un autre sens qu’on le croyait père de Notre-Seigneur Jésus-Christ ; on estimait qu’il était père comme les pères ordinaires, qui engendrent selon la chair et à qui la seule affection spirituelle ne suffit pas pour donner des enfants. Saint Luc a dit : « On le croyait père de Jésus.[1] » Qu’est-ce à dire : ou le croyait ? L’opinion humaine était portée à le confondre avec les pères ordinaires. Mais le Seigneur n’est point issu de Joseph, quoiqu’on ait eu cette idée, et cependant la piété et la charité de Joseph a reçu de la Vierge Marie un fils qui est en même temps le Fils de Dieu.
31. Mais enfin, pourquoi l’un des Évangélistes compte-t-il en montant et l’autre en descendant ? Écoutez ceci attentivement, je vous en prie, autant que le Seigneur vous en accordera la grâce, avec un esprit tranquille et débarrassé des importunes préoccupations que produisaient en vous ces accusations captieuses. Saint Matthieu suppute les générations en descendant, pour exprimer que Notre-Seigneur Jésus-Christ est descendu afin de se charger de nos péchés et afin que toutes les nations fussent bénies dans la postérité d’Abraham. Pour le même motif il ne commence ni par Adam, le père de tout le genre humain ; ni par Noé, dont la famille a peuplé toute la terre après le déluge. Pour montrer l’accomplissement de la prophétie, il était inutile de rappeler que le Christ fait homme descendait d’Adam et de Noé, les deux pères de l’humanité ; mais il fallait le faire remonter jusqu’à Abraham, puisque c’est à Abraham que fut donnée l’assurance que toutes les nations seraient bénies dans un rejeton de sa race, lorsque déjà la terre entière était peuplée. Saint Luc au contraire compte en montant, et ce n’est pas à la naissance du Sauveur qu’il suppute les générations, mais au moment où il rapporte son baptême par saint Jean. De même en effet que le Sauveur en s’incarnant se charge des péchés du genre humain pour en porter le poids, ainsi en recevant le baptême il entreprend de les effacer. Puisque le premier de ces Évangélistes nous mettait sous les yeux le Sauveur descendant du ciel pour se charger de nos fautes, il était convenable qu’il énumérât les générations en descendant ; et puisque le second nous présentait le Fils de Dieu remontant des eaux où il avait laissé, non pas ses péchés, mais les nôtres, il devait compter en montant. L’un descend par Salomon, dont la mère pécha avec David ; et l’autre monte par Nathan, cet autre fils de David [2] qui purifia son père du crime commis par lui. Nous lisons en effet que Nathan fut envoyé vers ce prince pour lui reprocher son iniquité et le guérir par la pénitence. Ces deux historiens se rencontrent dans David[3], celui-ci en descendant et celui-là en montant, et de David à Abraham ou d’Abraham à David – on ne voit dans leur récit aucune génération différente. Ainsi le Christ, fils à la fois de David et d’Abraham ; s’élève à Dieu, où il faut que nous retournions avec lui après avoir effacé nos péchés et nous être renouvelés dans le baptême.

32. Ce qui frappe dans la généalogie de saint Matthieu, c’est le nombre quarante ; car l’Écriture ne tient pas compte ordinairement de ce qui passe certains nombres déterminés. Ainsi elle fixe à quatre cents ans le temps qui devait s’écouler jusqu’à la sortie d’Égypte[4] ; et il y en a quatre cent trente. Ici donc quoiqu’il y ait une génération au-dessus de quarante, nous ne devons pas laisser de voir dominer ce nombre de quarante. Or ce nombre exprime la vie laborieuse de cette terre où nous voyageons loin du Seigneur, et où nous avons provisoirement besoin qu’on nous prêche la vérité. Si en effet nous multiplions par quatre, en considération des quatre parties du monde, ou des quatre saisons de l’année, le nombre dix qui signifie la béatitude parfaite, nous obtenons le chiffre de quarante. Aussi Moïse[5], Élie[6], et notre Médiateur lui-même, Jésus-Christ Notre-Seigneur[7], ont continué pendant quarante jours le jeûne destiné à nous rappeler qu’il est nécessaire de réprimer les convoitises sensuelles. Le peuple juif voyagea aussi quarante jours dans le désert[8] et le déluge dura quarante jours[9]. Pendant quarante jours encore le Seigneur vécut avec ses disciples après la résurrection, pour les convaincre de la réalité de ce fait[10] ; il insinuait ainsi que durant cette vie où nous voyageons loin du Seigneur, et que rappelle la signification mystique du nombre quarante. Ainsi que nous venons de le dire, nous avons besoin, jusqu’à son avènement suprême, de célébrer, comme nous le faisons dans l’Église, la mémoire de son corps sacré[11],

  1. Lc. 3, 23
  2. Voir Rétr. liv. 2, chap. 16
  3. 2 Sa. 12
  4. Gen. 15, 13 ; Act. 7, 6
  5. Deut. 9, 9
  6. 1 R. 19, 8
  7. Mt. 4, 2
  8. Nb. 32, 13
  9. Gen. 7, 4
  10. Act. 1, 3
  11. 1 Cor. 11, 26