Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VI.djvu/433

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commencé à m’imiter dans mes mœurs et à remplir mes préceptes, il rencontrera beaucoup de contradicteurs, beaucoup d’hommes qui chercheront à l’empêcher, à le détourner par leurs conseils et qui prétendront être eux-mêmes les disciples et les compagnons du Christ. N’accompagnaient-ils pas le Christ aussi, ceux qui empêchaient les aveugles de crier vers lui ? Qu’il s’élève donc devant toi des menaces ou des caresses, si tu veux suivre le Sauveur, considère-les comme une croix ; porte-les, supporte-les et ne succombe pas. Ce sont ces paroles du Sauveur qui semblent avoir encouragé les martyrs. Si donc on te persécute, ne dois-tu pas fouler tout aux pieds pour le Christ ? Tu aimes le monde ; mais ne dois-tu pas préférer le Créateur du monde ? Le monde est grand ; l’auteur du monde ne l’est-il pas davantage ? Le monde est beau ; son auteur n’est-il pas plus beau encore ? Le monde a des charmes ; n’y en a-t-il pas plus dans le Créateur ? Le monde est mauvais ; mais Celui qui l’a fait n’est-il pas bon ? Comment toutefois pourrai-je prouver et faire comprendre cette dernière assertion ? Dieu me vienne en aide. Qu’ai-je donc dit ? Qu’avez-vous applaudi ? N’ai-je pas énoncé une simple question ? Et pourtant vous avez applaudi. Comment donc le monde peut-il être mauvais, si Celui qui l’a fait est bon ? Dieu n’a-t-il pas créé toutes choses, et toutes n’étaient-elles pas très-bonnes ? L’Écriture en effet atteste que chaque être à été fait bon par Dieu : « Et Dieu vit, dit-elle, qu’il était bon. » Mais quand elle résume l’histoire de la création : « Et tout était très-bon, dit-elle [1]. »
5. Comment donc, encore une fois, comment le monde peut-il être mauvais, quand l’auteur du monde est bon ? C’est qu’après avoir été formé par lui, le monde ne l’a pas connu[2]. Il a fait le monde, c’est-à-dire le ciel, la terre et tout ce qu’ils renferment ; mais il n’a pas été connu du monde, c’est-à-dire de ceux qui aiment le monde, de ceux qui l’aiment en méprisant Dieu. Voilà pourquoi le monde est mauvais ; il est mauvais parce qu’il faut l’être pour préférer le mondé à Dieu ; et pourquoi au contraire est exclusivement bon Celui qui a fait le monde, qui a fait le ciel, la terre, la mer et ceux mêmes qui aiment le monde. Dans ceux-ci en effet il n’y a que cet amour du monde au mépris de Dieu, que Dieu n’ait pas fait. Il a fait en eus la nature, il n’y a pas le fait le vice. Voilà pourquoi je viens de dire : Que l’homme efface son propre ouvrage, et il aimera son auteur.
6. Car dans le monde même de l’humanité il y a du bien ; mais ce bien est sorti du mal. Si en effet nous entendons par le monde, non pas le ciel, la terre et tout ce qu’ils contiennent, mais les hommes seulement, on peut dire que le premier pécheur a rendu mauvais le monde entier ; l’arbre entier a été vicié dans sa racine. Dieu avait créé l’homme bon ; voici ce que dit l’Écriture : « Dieu a fait l’homme droit ; mais l’homme s’est jeté de lui-même dans des imaginations sans nombre [3]. » Ah ! de cette multiplicité cours à l’unité ; réunis en une seule ces idées disparates ; rentre dans ton lit, fleuve débordé, coules-y en sûreté ; demeure dans L’unité sans te répandre au loin, car dans cette unité est le vrai bonheur. Mais hélas ! nous avons quitté la droite voie, nous nous sommes jetés dans la perdition ; tous nous sommes nés dans le péché ; de plus nous avons ajouté par une vie coupable au malheur de notre naissance, de sorte que le monde entier est perverti. Mais le Christ est venu, et il a choisi dans ce monde, non pas tout ce qu’il y a rencontré, mais tout ce qu’il y avait formé lui-même. Aussi tous les hommes y étaient-ils mauvais ; mais il en est que sa grâce a rendus bons. De là un monde nouveau, et un monde persécutant le monde.
7. Quel est le monde persécuteur ? Celui dont il nous est parlé en ces termes : « Gardez-vous d’aimer le monde et ce qui est dans le monde. Si quelqu’un aime le monde, la charité du Père n’est point en lui ; parce que tout ce qui est dans le monde est convoitise de la chair, convoitise des yeux et orgueil de la vie. Or tout cela ne vient pas du Père, mais du monde. Mais le monde passe, et sa convoitise aussi ; « tandis que celui qui fait la volonté de Dieu demeure éternellement, comme Dieu même[4]. » Voilà donc les deux mondes, le monde persécuteur et le monde persécuté. Quel est le inonde persécuteur ? « Tout ce qui est dans le monde est convoitise de la chair, convoitise des yeux et orgueil de la vie. Or cela ne vient pas du Père, mais du monde ; et le monde passe. » Voilà bien le monde persécuteur. Et quel est le monde persécuté ? « Si quelqu’un fait la volonté de Dieu, il demeure éternellement, comme Dieu même. »
8. Voilà sans doute le nom de monde donné

  1. Gen. 1
  2. Jn. 1, 10
  3. Ecc. 7, 30
  4. 1Jn. 2, 15-17