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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VI.djvu/45

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en n’y rencontrant plus l’alignent de l’âme ! En vain ce bien mal acquis pourrait de venir la nourriture du corps, on ressentirait à l’intérieur une faim bien plus cruelle, de plus dangereuses blessures et une mort plus alarmante. Il est, hélas ! beaucoup de morts ambulants, beaucoup de coupables qui mettent leurs joies dans de vaines richesses. L’Écriture ne place-t-elle point dans l’âme les trésors du serviteur de Dieu ? « Votre cœur, l’homme caché, dit-elle, qui est riche devant Dieu [1]. » Riche, non pas devant les hommes, mais devant Dieu et là où pénètre son regard. Que te sert-il de dérober quand un mortel ne te voit pas, et d’être ravagé par la grêle dans l’âme où Dieu te voit ?
9. Huitième précepte : « Tu ne feras point de faux témoignage[2]. » Plaie huitième : les sauterelles[3][4], dont la dent est terrible. Que veut le faux témoin, sinon blesser par ses morsures et perdre par ses mensonges ? D’ailleurs, pour inviter les hommes à ne point s’accuser faussement, « Si vous vous mordez et dévorez les uns les autres, dit l’Apôtre de Dieu, prenez garde que vous ne vous consumiez les uns les autres[5]. »
10. Neuvième précepte : « Tu ne convoiteras point l’épouse de ton prochain[6]. » D’épaisses ténèbres sont, la neuvième plaie[7]. Il y a en effet une espèce d’adultère, défendue par un des préceptes précédents, qui consiste à ne pas même désirer de jouir d’une épouse étrangère ; car sans aller vers la femme d’autrui, c’est être adultère que de ne se point contenter de la sienne. Mais convoiter la femme d’autrui après s’être rendu coupable contre la sienne propre, n’est-ce point réellement d’épaisses ténèbres ? Rien ne blesse aussi vivement le cœur de qui endure cette humiliation, et celui qui fait à autrui cet outrage jamais ne consentira à le souffrir lui-même. Chacun a plus d’inclination pour une étrangère, mais j’ignore s’il est un seul homme capable de supporter patiemment une injure semblable. Quelles épaisses ténèbres dans une telle conduite, dans de pareils désirs ! Il y a vraiment l’aveuglement d’une exécrable fureur. Avilir l’épouse d’un frère, n’est-ce pas une fureur indomptée ?
11. Dixième précepte : « Tu ne convoiteras rien qui appartienne à ton prochain, ni son troupeau, ni son bien, ni sa charrue, ni absolument rien qui lui appartienne[8]. » À ce crime est destinée la dixième plaie, la mort des premiers-nés [9]. Quand je cherche ici quelque rapprochement, il ne s’en présente point d’abord ; peut-être en découvrirait-on en examinant avec plus de soin et d’attention. Cependant n’y aurait-il point dans cette plaie la condamnation de quiconque garde pour ses héritiers absolument tout ce qu’il possède ? Ce dixième précepte dit hautement que convoiter le bien du prochain c’est être coupable de larcin, comme celui qui vole et qui dérobe en réalité : Mais nous avons déjà vu un précepte relatif au larcin et ce précepte comprend également la rapine. Car l'Écriture ne défendrait pas expressément le larcin sans parler de la rapine, si elle ne voulait faire entendre que le vol secret étant digne de châtiment, le vol accompagné de violence mérite des peines encore plus graves. Il existe donc un précepte qui défend de rien enlever au prochain malgré lui soit secrètement soit ouvertement. Mais il n’est pas permis non plus de convoiter intérieurement son bien, sous l’œil de Dieu, fut-ce à titre de légitime succession. Car ceux qui aspirent à posséder justement le bien d’autrui, désirent être institués les héritiers des mourants : est-il rien qui leur semble aussi juste que de recueillir ce qu’on leur abandonne ? N’est-ce pas être dans le droit commun ? On m’a légué ce bien, peut dire cet homme ; je l’ai comme héritier ; voici le testament. Est-il quelque chose qui semble plus juste que ce raisonnement de l’avare? Tu le loues comme un homme juste ; Dieu condamne ses injustes désirs. Et toi, qui aspires à être établi héritier de quelqu’un, considère ce que tu es. Tu ne veux•pas que ce quelqu’un ait des héritiers naturels. Mais parmi ces héritiers nul n’est plus cher qu’un fils aîné. Aussi pour avoir convoité sous l’ombre d’une espèce de droit le bien que ne t’adjugeait par le droit naturel, tu seras puni dans ce que tu as de plus cher, ce qui est pour toi comme un fils aîné. Mes frères, il est facile encore de perdre des aînés ; puisque tout mortel meurt soit avant soit après ses parents. Ce qui est à craindre, c’est qu’en te livrant à cette secrète et injuste convoitise, tu ne perdes les premiers-nés de ton cœur. Or le premier-né en nous est comme l’empreinte de la grâce de Dieu, et ce nouveau-né, ce premier-né

  1. 1 Pi. 3, 4
  2. Exod. 20, 16
  3. Id. 10,13
  4. Id. 10,13
  5. Gal. 5, 15
  6. Exod. 20, 17
  7. Id. 10, 22
  8. Id. 20, 17
  9. Id. 12, 29