Que nous prescrit-on ici ? Que nous présente-t-on ? Que nous est-il commandé ? Que nous est-il donné ? – De nous réjouir dans le Seigneur. Mais qui se réjouit dans ce qu’il ne voit pas ? Et voyons-nous Dieu ? Ce bonheur nous est promis : mais aujourd’hui c’est par la foi que nous marchons, pendant que nous sommes dans ce corps nous voyageons loin du Seigneur [1]. Remarquez : c’est par la foi, non par une claire vue. Nous parviendrons à voir quand s’accomplira ce que dit encore l’Apôtre Jean : « Mes bien-aimés, nous sommes les enfants de Dieu, mais on ne voit pas encore ce que nous serons. Nous savons que lorsqu’il apparaîtra nous lui serions semblables, car nous le verrons tel qu’il est[2]. » Alors donc la joie grande et parfaite, alors la pleine allégresse : ce ne sera plus le lait de l’espérance, mais la solide nourriture de la réalité. Dès maintenant toutefois, avant que la réalité vienne à nous et avant que nous allions à elle, réjouissons-nous dans le Seigneur. Y a-t-il peu de joie dans l’espérance que doit suivre la réalité ? Au milieu des choses du temps, dans la joie du siècle et non du Seigneur, il est beaucoup d’affections qui ne possèdent point encore ce qu’elles convoitent : quelle ardeur néanmoins dans cette espérance qui court sans atteindre ! Ainsi, pour citer des exemples : tu aimes l’argent ; tu ne l’aimerais point si tu n’espérais le posséder : tu aimes une femme, non après, mais avant de l’avoir épousée. Hélas ! ne sera-t-elle pas aussi détestée après l’union qu’elle est aimée auparavant ? Pourquoi ? Parce qu’elle ne s’est point montrée après le mariage comme le cœur se l’était figurée. Mais Dieu, ah ! si on l’aime encore absent, il ne perd rien quand il est présent. Quelque haute idée que se fasse l’âme humaine de ce Bien suprême qui est Dieu, jamais elle ne fait assez, elle est toujours infiniment au-dessous de la réalité ; et la possession lui donnera nécessairement beaucoup plus que ne rêvait la pensée. Si donc nous avons pu l’aimer avant même de le voir, nous l’aimerons beaucoup plus après l’avoir vu. Ainsi nous l’aimons présentement avec espérance. C’est pourquoi il est écrit : « Le juste se réjouira dans le Seigneur ; » et comme il ne le voit pas encore : « et il espérera en lui. »
2. Cependant nous possédons les prémices de l’Esprit et nous pouvons nous approcher de l’objet de notre amour, goûter même tant soit peu à ce que nous devons manger et boire avec avidité. Comment le prouver ? Le voici. Ce Dieu en qui il nous est ordonné de placer notre amour, de prendre notre joie, n’est ni l’or, ni l’argent, ni la terre, ni le ciel, ni cette lumière du soleil, ni tout ce qui brille au ciel ou resplendit avec éclat sur la terre. Dieu n’est pas un corps, il est esprit. Aussi dit-il que « ceux qui l’adorent doivent l’adorer en esprit et en vérité [3]. » Il n’est pas dans les lieux où sont les corps ; parce qu’il n’est pas corps. Il n’est pas sur une haute montagne et tu ne dois pas en la gravissant croire que tu t’approches de Lui. Il est vrai, le Seigneur est le Très-Haut, mais il s’abaisse vers les humbles ; il regarde de loin les superbes[4], mais ce n’est pas de loin qu’il regarde les humbles. – Sans doute il est le Très-Haut, et s’il regarde de loin les superbes, ne doit-il pas considérer les humbles de plus loin encore ? Si sa grandeur le tient si élevé, au-dessus des superbes et s’il doit les regarder de haut ; cette même grandeur, dit-on, ne l’éloigne-t-elle pas des humbles beaucoup plus ? Il n’en est rien. Dieu est élevé, et il s’abaisse vers les humbles. Comment s’abaisse-t-il vers eux ? Le Seigneur est proche de tous ceux qui se sont brisé le cœur[5]. Ne cherche donc pas une haute montagne pour te croire plus voisin de lui. Si tu t’élèves, il s’éloigne ; si tu t’humilies, il s’abaisse. Ce publicain se tenait loin et Dieu s’approchait de lui plus aisément ; il n’osait lever les yeux an ciel[6], et déjà il portait en lui le Créateur du ciel. Comment donc nous réjouir dans le Seigneur, si le Seigneur est tellement loin de nous ? C’est toi qui l’approches et l’éloignes. Aime-le et il s’approchera ; aime-le et il demeurera en toi. Le Seigneur est proche, ne vous inquiétez de rien[7]. Veux-tu savoir comme il est en toi si tu l’aimes ? « Dieu est charité[8]. » Pourquoi laisser courir à droite et à gauche les fantômes de ton imagination ? Pourquoi te demander : Qu’est-ce que Dieu ? Comment est-il ? Quoi que tu te représentes, il ne l’est pas. Ce qu’il est, ta pensée ne saurait le comprendre. Mais pour te donner un avant-goût, « Dieu est charité. » Tu me demanderas Qu’est-ce que la charité ! C’est par la charité que nous aimons. Et qu’aimons-nous par elle ? Le bien ineffable, le bien libéra le bien créateur de tous les biens. Qu’il te charme, puisque tu tiens de lui tout ce qui te plaît. Je ne parle pas du péché, car le péché est la seule chose que
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