Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VII.djvu/104

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acharnés contré lui, mais du diable même, du diable qui recherche nos péchés avec toute l’activité que lui inspire l’envie.

4. En effet, que dit de lui le Seigneur Jésus ? « Voici venir le prince de ce monde ». Souvent déjà il a été dit à votre charité que le monde désigne les pécheurs. Pourquoi les pécheurs sont-ils appelés le monde ? Parce que leur amour les y attache ; attendu que ceux qui ne l’aiment point ne sont pas censés l’habiter : « Notre vie est dans les cieux », dit saint Paul[1]. Or, si en aimant Dieu on habite au ciel avec Dieu, il est sûr qu’en aimant le monde, on habite le monde avec le prince du monde. D’où il suit que tous les amis du monde sont le monde ; car ils l’habitent, non-seulement de corps, comme tous les justes, mais encore d’esprit, ce qui est le propre des pécheurs qui ont le démon pour chef. Ne dit-on pas la maison pour désigner ceux qui l’habitent ? C’est ainsi que nous disons d’une maison de marbre que c’est une mauvaise maison, et d’une demeure enfumée que c’est une bonne maison. Viens-tu à rencontrer une maison enfumée habitée par des gens de bien ? Tu dis : Voilà une bonne maison, tandis qu’en passant devant un palais couvert de marbre et orné de superbes lambris, mais habité par des criminels, tu dis : Voilà une mauvaise maison : ainsi tu appelles maison, non pas les murailles ni les appartements, mais les habitants eux-mêmes. C’est dans le même sens que l’Écriture appelle monde ceux qui tiennent au monde, non par le corps, mais par le cœur. Ce qui explique ces paroles : « Voici venir le prince de ce monde ». « Et il ne trouve rien en moi ». Le Christ est le seul en qui le démon ne revendique rien. Puis, comme si on lui demandait : Pourquoi donc mourez-vous ? le Sauveur ajoute. « Or, afin qu’on sache que j’accomplis la volonté de mon Père, levez-vous, marchons[2] ». Il se lève et va souffrir. Pourquoi ? Pour accomplir la volonté de mon Père ». C’est donc en témoignage de cette innocence incomparable que le Psalmiste lui dit : « C’est contre vous seul que j’ai péché, et devant vous que j’ai fait le mal ; afin que vous soyez justifié dans vos discours et victorieux lorsqu’on vous jugera » ; puisqu’on ne découvrira en vous aucun mal. Pourquoi au contraire s’en trouve-t-il en toi, ô humanité ? Le voici : « Pour moi, j’ai été formé dans l’iniquité, et ma mère m’a conçu dans le péché[3] ». C’est David qui s’exprime ainsi. Comment est né David ? Cherche, et tu constateras qu’il est né d’une épouse légitime et qu’il n’est pas le fruit de l’adultère. C’est pourtant de cette naissance qu’il dit : « J’ai été formé dans l’iniquité ». N’est-ce pas pour nous faire entendre qu’il y a là un germe de mort que chacun tire de l’union de l’homme et de la femme ?

5. Chacun donc porte en soi la concupiscence ; et quand il entend la loi lui dire : « Tu ne convoiteras pas[4] », il ne peut se dissimuler qu’il y a en lui ce qu’interdit la loi et que conséquemment il la viole. Mais en reconnaissant en lui cette concupiscence dont il est l’esclave, qu’il s’écrie : « Il est vrai, je me plais intérieurement dans la loi de Dieu ; mais je vois dans mes membres une autre loi qui s’élève contre la loi de mon esprit et qui m’assujettit à loi du péché, laquelle est dans mes membres ». Qu’après s’être ainsi reconnu malade, il implore son Médecin : « Malheureux homme que je suis, qui me délivrera du corps de cette mort ? » Le Médecin répondra : « La grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur[5] ». « La grâce de Dieu » ; non tes mérites. Pourquoi dans ce cas l’Apôtre a-t-il dit qu’il avait vécu sous la loi avec justice et sans mériter de reproche ? Remarquez : c’est sans mériter de reproche de la part des hommes. Il est effectivement un degré de justice où l’homme peut atteindre sans mériter de reproches de la part d’autres hommes. Ainsi la loi disant. « Tu ne convoiteras pas le bien d’autrui », les hommes ne te reprocheront rien si tu t’abstiens de ravir ce qui n’est pas à toi. Mais comme tu peux le convoiter sans le ravir, tu demeures en le convoitant soumis à la condamnation de Dieu ; tu te rends coupable contre la loi, mais aux yeux seulement du Législateur. Admettons toutefois que tu ne mérites aucun reproche ; pourquoi dans ce cas comparer ta justice à une perte, au fumier même ? Cette objection forme un nœud bien étroit ; mais sera dénoué par Celui qui sait nous en dénouer tant d’autres ; et pour mériter cette grâce, si j’interroge avec une soumission pieuse, vous demanderez avec une pieuse intention. – Tout ce que faisaient les Juifs

  1. Phi. 3, 20
  2. Jn. 14, 30-31
  3. Psa. 50, 6-7
  4. Exo. 20, 16
  5. Rom. 7, 22-25