Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VII.djvu/103

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j’ai obtenu miséricorde[1] », et le reste. Ainsi, d’un côté il affirme avoir vécu irréprochablement sous la loi, et d’autre part il se représente comme si grand pécheur qu’en considérant le pardon qu’il a obtenu, il n’est aucun pécheur qui doive désespérer de son salut.

2. Étudiez avec soin, mes frères, et pesez attentivement le sens de ce passage où l’Apôtre compare à une perte et à un vil fumier la vie irrépréhensible qu’il a menée sous la loi ; et où il se représente comme ayant été dans le même moment, avant d’avoir reçu le baptême et la grâce, observateur et infracteur de la loi. Ce n’est pas sans raison qu’il emploie le mot perte : écarte ici la funeste pensée de croire que d’après lui l’auteur de la loi serait différent de l’auteur de l’Évangile, comme se l’imaginent faussement les Manichéens et d’autres hérétiques. Selon eux effectivement on ne doit pas attribuer la loi de Moïse au distributeur de la grâce évangélique la loi vient du Dieu mauvais et la grâce du Dieu bon. Pourquoi serions-nous surpris d’une telle assertion, mes frères ? Si ces malheureux ne voient que ténèbres dans les obscurités de la loi, c’est qu’ils ne s’en font pas ouvrir la porte en y frappant avec piété. Il est vrai néanmoins que le même Apôtre dit quelquefois en des termes très-clairs que la loi est bonne[2] ; quoiqu’il enseigne encore qu’elle a été donnée afin de multiplier le péché et, par là, de multiplier la grâce davantage encore[3]. C’est que les hommes présomptueux, en faisant tout ce qu’ils se croyaient permis, enfreignaient la loi secrète de Dieu. Comme ils ne se croyaient aucunement coupables, Dieu leur donna visiblement sa loi ; il la leur donna, non pour les guérir, mais pour leur montrer qu’ils étaient malades. Cette loi devançait donc l’arrivée du Médecin afin de détromper le malade, qui se croyait en bonne santé, et c’est pour ce motif qu’elle lui a dit : « Tu ne convoiteras point[4] ». De plus, la loi n’était point violée avant d’avoir été promulguée, « car il n’y a point de prévarication, dit saint Paul, quand il n’y a point de loi[5] ». On péchait sans doute avant la loi ; mais en péchant après la loi on péchait davantage, puisque la prévarication s’ajoutait au péché. L’homme alors reconnut qu’il était vaincu par les passions désordonnées que ses mauvaises habitudes avaient nourries contre lui-même. Et pourtant il était déjà assujetti au péché par le fait même qu’il descendait d’Adam. C’est ce qui fait dire à l’Apôtre : « Nous étions, nous aussi, enfants de colère par naissance[6] » ; et à Job, que pas même l’enfant d’un jour n’est exempt de péché[7] ; non de péché actuel, mais de péché originel.

3. Prête maintenant l’oreille à un psaume qui révèle ce qu’il y a dans notre âme, qui met à nu nos désordres les plus secrets. On y dit au Sauveur, au nom du genre humain : C’est contre vous seul que j’ai péché, et devant vous que j’ai fait le mal ». Ce n’est pas seulement au nom de David que se tient ce langage, c’est également au nom d’Adam, le père de l’humanité. Voici la suite : « C’est contre vous seul, a-t-il été dit, que j’ai péché, et devant-vous que j’ai fait le mal ; afin, « ajoute-t-on, que vous soyez justifié dans vos discours ». Quel sens donner à ces mots adressés au Christ ? Lisons encore. « Et que vous soyez victorieux quand on vous jugera[8] ». Dieu le Père n’a pas été jugé, le Saint-Esprit ne l’a pas été non plus ; il n’y a que le Fils qui ait été jugé, il l’a été dans la nature humaine qu’il a daigné prendre avec nous, mais non pas au moyen de l’union des sexes ; car sa mère était Vierge quand elle crut, vierge quand elle le conçut, vierge quand elle l’enfanta, et vierge toujours. Voilà pourquoi il est dit : « Afin que vous soyez victorieux lorsqu’on vous jugera ». De fait, n’a-t-il pas été vainqueur lorsqu’on l’a jugé, puisqu’il a été jugé sans ; qu’on découvrît en lui de péché, puisque le jugement souffert par lui a mis en lumière sa patience et non ses crimes ? On juge souvent des hommes qui sont innocents, innocents dans la cause qui se débat ; car sous d’autres rapports ils sont loin de l’être, attendu qu’aux yeux de Dieu la pensée est une faute, comme l’action aux yeux des hommes. Oui, ta pensée est un acte devant Dieu ; il en est à la fois le témoin et le juge, comme ta conscience en est l’accusateur. Il n’y a donc que le Sauveur qui ait été véritablement innocent quand il a été jugé ; aussi fut-il alors victorieux ; victorieux, non pas de Ponce-Pilate, qui le condamna, ni des Juifs,

  1. 1Ti. 1, 13
  2. Rom. 7, 12
  3. Id. 5, 20
  4. Rom. 7, 7
  5. Id. 4, 15
  6. Eph. 2, 3
  7. Job. 14, 4, sept
  8. Psa. 50, 6