Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VII.djvu/114

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Consulte l’Évangile ; il y est écrit : « Le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu ». Si donc l’homme ne s’était perdu, le Fils de l’homme ne serait pas venu. Mais l’homme s’étant perdu, le Fils de l’homme est venu et l’a retrouvé. L’homme s’était perdu par sa liberté, Dieu fait homme est venu le délivrer par sa grâce. Veux-tu savoir ce que peut la liberté pour le mal ? Rappelle-toi les péchés des hommes. Veux-tu savoir aussi quel secours nous apporte l’Homme-Dieu ? Considère en lui la grâce libératrice. Afin de connaître ce que peut la volonté humaine livrée à l’orgueil pour éviter le mal sans le secours divin, il n’est pas de moyen plus efficace que de la voir dans le premier homme, Or, ce premier homme s’est perdu, et que serait-il devenu sans l’avènement d’un autre homme ? C’est à cause du premier que le second est venu : aussi c’est « la Vérité humaine » ; et nulle part ne se révèlent les douceurs de la grâce et la générosité de la toute-puissance divine avec autant d’éclat que dans la personne du Médiateur établi entre Dieu et les hommes, que dans Jésus-Christ fait homme[1]. Où voulons-nous en venir, mes frères ? Je parle à des âmes élevées dans la foi catholique ou reconquises à la paix catholique. Nous savons donc et nous sommes sûrs que le Médiateur établi entre Dieu et les hommes, que Jésus-Christ fait homme est, comme homme, de même nature que nous. Sa chair en effet n’est pas d’une autre nature que notre chair, ni son âme d’une autre nature que notre âme. Il s’est uni à la nature même qu’il a cru devoir sauver ; il a pris cette nature tout entière, mais non le péché, en sorte que cette nature est en lui toute pure. Elle n’y est pas seule toutefois. En lui est encore la divinité, le Verbe de Dieu ; et comme on distingue en toi l’âme et le corps, ainsi l’on voit dans le Christ la divinité et l’humanité. Or, qui oserait dire que la nature humaine de ce divin Médiateur a commencé de mériter, par son libre arbitre, d’être unie à la divinité et de former ainsi, par l’alliance hypostatique de l’humanité et de la divinité, l’unique personne de Jésus-Christ ? Nous pourrions soutenir que par nos vertus, que par notre conduite et nos mœurs nous avons mérité, nous, de devenir enfants de Dieu ; nous pouvons nous écrier : Une loi nous a été donnée, et nous serons admis au nombre des enfants de Dieu, si nous l’observons. Mais en Jésus-Christ le Fils de l’homme a-t-il vécu séparément d’abord, pour mériter par sa sagesse de devenir ensuite le Fils de Dieu ? N’est-il pas vrai au contraire que son existence ne date que du moment même de l’incarnation ? Car il est écrit : « Le Verbe s’est fait chair, pour habiter parmi nous ». Oui, quand le Verbe de Dieu, quand le Fils unique de Dieu a pris une âme et un corps humains ; ni cette âme ni ce corps ne l’avaient mérité, ni n’avaient travaillé par leur énergie naturelle, à s’élever à un tel degré de gloire ; le Fils de Dieu agissait d’une manière tout à fait gratuite. Aucune partie de l’humanité du Sauveur n’a précédé l’incarnation ; elle s’est formée par l’incarnation même. Une Vierge a conçu le Fils de l’homme médiateur : existait-il avant d’être conçu ? Il n’a donc pas été d’abord un homme juste ; et comment eût-il été juste, puisqu’il n’existait pas ? Une Vierge l’a conçu, et le Christ a été formé par l’union du Verbe avec la nature humaine. Aussi est-il dit avec raison : « Nous avons vu sa gloire, comme la gloire que le Fils unique reçoit de son Père ; il est plein de grâce et de vérité[2] ». Tu aimes l’indépendance et tu voudrais dire à ton Père : « Donnez-moi l’héritage qui me revient[3] ? » Pourquoi t’abandonner ainsi à toi-même ? Ah ! Celui qui avant ta naissance a pu te donner l’être, est bien plus capable de te préserver. Reconnais donc le Christ ; il est plein de grâce et il veut répandre en toi ce qui déborde en lui. Il te dit : Recherche mes dons, oublie tes mérites ; jamais, si je faisais attention à tes mérites, tu n’obtiendrais mes faveurs. Ne t’élève pas ; sois petit, petit comme Zachée.

3. Tu vas me dire : Si je suis petit comme Zachée, la foule m’empêchera devoir Jésus. Ne t’afflige point : monte sur l’arbre où Jésus a été attaché pour toi, et tu verras Jésus. Sur quelle espèce d’arbre monta Zachée ? C’était un sycomore. Nos pays ne produisent pas ou reproduisent que rarement des sycomores ; mais cet arbre et son fruit sont communs dans ces contrées de l’Orient. Le fruit du sycomore ressemble à la figue, sans pourtant se confondre avec elle, comme le savent ceux qui en ont vu ou goûté ; et à en croire l’étymologie du mot, le fruit

  1. 1Ti. 1, 5.
  2. Jn. 1, 14
  3. Luc. 15, 12