Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VII.djvu/115

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du sycomore est une figue folle. Arrête maintenant les yeux sur mon modèle Zachée ; considère, je t’en prie, avec quelle ardeur il voudrait voir Jésus du milieu de la foule, et ne le peut. C’est qu’il était petit, et cette foule orgueilleuse ; aussi cette foule, ce qui du reste arrive d’ordinaire, s’embarrassait elle-même et ne pouvait bien voir le Sauveur. Zachée. donc sort de ses rangs, et ne rencontrant plus cet obstacle, il contemple Jésus. N’est-ce pas la foule qui dit, avec ironie, aux humbles, à, ceux qui marchent dans la voie de l’humilité, qui abandonnent à Dieu le soin des outrages qu’ils reçoivent et qui ne veulent pas se venger de leurs ennemis : Pauvre homme désarmé, tu ne saurais même te défendre ? Ainsi empêche-t-elle de voir Jésus ; si heureuse et si fière d’avoir pu se venger, cette foule ne permet pas de voir Celui qui disait sur la croix : « Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font[1] ». Aussi Zachée, le type des humbles, ne resta point, pour le voir, au milieu de cette multitude gênante ; il monta sur le sycomore, l’arbre qui produit, avons-nous dit, comme des fruits de folie. Mais l’Apôtre n’a-t-il pas dit : « Pour nous, nous prêchons le Christ crucifié : pour les Juifs c’est un scandale, et pour les Gentils une folie[2] ? » voilà comme le sycomore. De là vient que les sages de ce monde prennent acte de la croix du Christ pour nous insulter. Quel cœur avez-vous, nous disent-ils, pour adorer un Dieu crucifié ? – Quel cœur avons-nous ? Nous n’avons pas votre cœur, assurément ; car la sagesse de ce monde est folie aux yeux de Dieu[3]. Nous n’avons pas votre cœur. C’est le nôtre, dites-vous encore ; qui est insensé. Dites ce qu’il vous plaira ; nous allons monter sur le sycomore pour voir Jésus ; car si vous autres ne pouvez le voir, c’est que vous rougiriez de monter sur cet arbre. O Zachée, saisis le sycomore ; homme humble, monte sur la croix. Ce n’est pas assez d’y monter : pour ne pas rougir de la croix, imprime-la sur ton front, le siège de la pudeur ; oui, c’est sur cette partie du corps qui rougit, qu’il te faut graver le signe dont nul ne doit rougir. Tu te ris de mon sycomore, ô gentil ; mais grâce à lui je vois Jésus. Tu t’en ris pourtant, mais parce que tues homme ; or la folie de Dieu est préférable à toute la sagesse des hommes.

4. Le Seigneur aussi vit Zachée. Ainsi il vit et on le vit ; mais il n’aurait pas vu, si on ne l’avait vu d’abord. Dieu n’a-t-il pas appelé ceux qu’il a prédestinés[4] ? Et quand Nathanaël rendait déjà une espèce de témoignage à l’Évangile et disait : « De Nazareth que peut-il sortir de bon ? » le Seigneur ne lui répondit-il pas : « Avant que Philippe t’appelât, lorsque tu étais encore sous le figuier, je t’ai vu[5] ? » Vous savez avec quoi les premiers pécheurs, Adam et Eve, se firent des ceintures ; c’est avec des feuilles de figuier qu’après leur péché ils voilèrent leurs parties honteuses[6] ; car le péché même y avait imprimé la honte. Ainsi c’est avec des feuilles de figuier que les premiers pécheurs se firent des ceintures pour couvrir ces parties honteuses qui sont comme la source empoisonnée qui nous a donné la mort en nous donnant la vie, et cette mort a appelé Celui qui est venu chercher et sauver ce qui est perdu. Que signifie alors : « Quand tu étais sous le figuier, je t’ai vu ? » N’est-ce pas comme si le Sauveur eût dit : Tu n’accourrais pas à Celui qui efface les péchés, si d’abord il ne t’avait vu sous l’ombre même du péché ? Ainsi pour voir, nous avons été regardés ; pour aimer, nous avons été aimés. C’est mon Dieu, sa miséricorde me préviendra[7].

5. Donc, après avoir fait entrer Zachée dans son cœur, le Seigneur daigna entrer lui-même dans sa maison et il, lui dit : « Zachée, descends vite, car il faut qu’aujourd’hui même je loge chez toi ». Cet homme regardait comme un grand bonheur de voir le Christ ; c’était pour lui une immense et ineffable faveur de le voir, même en passant ; et tout à coup il mérite de lui donner l’hospitalité. C’est la grâce qui se répand en lui, c’est la foi qui agit par amour ; le Christ entre dans sa demeure, mais il habitait déjà son cœur. « Seigneur, s’écria alors Zachée, je donne aux pauvres moitié de mes biens, et si j’ai fait tort à quelqu’un, je lui rends quatre fois autant ». En d’autres termes : Si je conserve moitié, ce n’est pas pour garder, c’est pour restituer. Voilà ce qui s’appelle accueillir Jésus, l’accueillir dans son cœur. Ah ! le Christ était là, il était dans Zachée et c’est lui qui mettait sur les lèvres de celui-ci les paroles que cet homme lui adressait. L’Apôtre ne dit-

  1. Luc. 23, 34
  2. 1Co. 1, 23
  3. Id. 3, 39
  4. Rom. 8, 30
  5. Jn. 1, 46-48
  6. Gen. 3, 7
  7. Psa. 58, 11