Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VII.djvu/125

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

nul ne la défende, que tous au contraire la condamnent pour n’être pas condamnés avec elle. Je ne sais quelle influence exerce l’avarice dans le cœur ; car tous les hommes, ou, pour m’exprimer avec plus d’exactitude et de prudente, presque tous les hommes l’accusent dans leurs discours et la défendent par leurs actions. Beaucoup ont parlé longuement contre elle ; ils l’ont chargée de torts aussi sérieux que mérités ; poètes et historiens, orateurs et philosophes, écrivains de tout genre, tous se sont élevés contre l’avarice. Mais l’important est de n’en être pas atteint ; ah ! il vaut beaucoup mieux en être exempt que de savoir en montrer la laideur.

2. Toutefois, entre les philosophes, par exemple, et les Apôtres faisant le procès à l’avarice, n’y a-t-il pas quelque différence ? Quelle est cette différence ? En examinant la chose de près, nous découvrirons ici un enseignement qui n’est donné que par l’école du Christ. J’ai déjà cité ces mots : « Nous n’avons rien apporté dans ce monde, et nous ne saurions en emporter rien ; ayant donc la nourriture et le vêtement, contentons-nous ». Beaucoup d’autres que l’Apôtre ont fait cette réflexion. Il en est de même de celle-ci : « L’avarice est la racine de tous les maux ». Mais aucun profane n’a dit ce qui suit : « Pour toi, homme de Dieu, fuis ces choses et recherche la justice, la foi, la charité avec ceux qui invoquent le Seigneur d’un cœur pur[1] ». Non, aucun des profanes n’a dit cela ; tant la piété solide est étrangère à ces bruyants parleurs ! Aussi, mes bien-aimés, c’est pour détourner de nous ou des hommes de Dieu, la pensée de regarder comme de grands hommes ces esprits, étrangers à notre société, qui ont jeté sur l’avarice leur condamnation et leur mépris, que l’Apôtre s’écrie : « Pour toi, homme de Dieu ». Veut-on essayer de les mettre en face de nous ? Rappelons-nous d’abord qu’un caractère qui nous distingue, c’est que nous agissons pour Dieu ; c’est que le culte du vrai Dieu est une réprobation de l’avarice et que nous devons nous porter avec bien plus de soin à ce qui est un devoir de piété. Quelle honte, quelle confusion et quelle douleur pour nous, si l’on voyait les adorateurs des idoles triompher de l’avarice, et les serviteurs du Dieu unique subjugués par elle, esclaves de cette passion quand un sang divin leur sert de rançon ! L’Apôtre disait encore à Timothée « Je t’ordonne devant Dieu, qui vivifie toutes choses, et devant le Christ Jésus, qui a rendu a sous Ponce-Pilate un si glorieux témoignage à la vérité » ; ici encore constate à quelle distance nous sommes des profanes ; « de garder inviolablement ce précepte jusqu’à l’avènement de Notre-Seigneur Jésus-Christ, que manifestera en son temps le bienheureux, le seul puissant, le Roi des rois, le Seigneur des seigneurs, qui seul possède l’immortalité et habite une lumière inaccessible, qu’aucun homme n’a vu ni ne saurait voir, et à qui sont l’honneur et la gloire pour les siècles des siècles. Ainsi soit-il ». C’est de la famille de ce grand Dieu que nous faisons partie, nous y sommes entrés par adoption, et grâces, non pas à nos mérites mais à sa bonté, nous sommes devenus ses enfants. Or, ne serait-il pas trop affreux, ne serait-il pas trop horrible d’être enchaînés sur la terre par l’avarice, quand nous disons : « Notre Père qui êtes dans les cieux[2] », à ce Dieu dont l’amour fait tout pâlir ; quand aussi le monde où nous sommes nés est si peu fait pour nous, qu’une nouvelle naissance nous attache à Dieu ? Usons de ces créatures pour le besoin et non par amour pour elles ; que l’univers soit pour nous comme une hôtellerie où on passe et non comme un domaine que l’on habite. Restaure-toi et passe, voyageur, considère à qui tu vas rendre visite quelle grandeur en effet dans Celui qui t’a visité ! En quittant cette vie tu fais place à un autre qui y fait son entrée : n’est-ce pas ainsi qu’on sort d’une hôtellerie pour y être remplacé ? Mais tu voudrais arriver au séjour du repos parfait ; que Dieu donc ne s’éloigne pas de toi, car c’est à lui que nous disons : « Vous m’avez conduit dans les sentiers de votre justice par égard à votre nom », et non par égard à mes mérites[3].

3. Ainsi donc autres sont les voies de notre mortalité, et autres les voies de la piété. Les voies de la mortalité sont fréquentées par tous ; il suffit d’être né pour y marcher : on ne suit les voies de la piété qu’autant que l’on est régénéré. En marchant dans les premières on naît et on grandit, on vieillit et on meurt ; et conséquemment on a besoin du vêtement et de la nourriture. Mais qu’on se contente du

  1. 2Ti. 2, 2
  2. Mat. 6, 9
  3. Psa. 22, 3