Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VII.djvu/155

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ciel et la terre[1] »  ; et toi tu dis au contraire : Au commencement Dieu a fait le Verbe ; car tu prétends que le Verbe a été fait, qu’il est une créature, et tu dis ainsi que Dieu l’a fait au commencement, tandis que selon l’Évangéliste il était. Et c’est parce qu’il était que Dieu a fait au commencement le ciel et la terre. « Tout a été fait par lui[2] » ; et tu dis, toi, qu’il a été fait. S’il l’avait été, il ne serait pas le Fils de Dieu.

5. Car il s’agit ici d’un Fils par nature et non d’un fils par grâce ; d’un Fils unique, d’un Fils unique engendré et non pas adopté. Le Fils qu’il nous faut est un Fils vrai, un Fils « qui étant de la nature de Dieu », comme s’exprime l’Apôtre, que je nomme ici à cause des moins instruits, et pour qu’ils ne m’attribuent passes paroles, « qui étant donc, dit saint Paul, de la nature de Dieu, ne crut point usurper en s’égalant à Dieu ». Cette égalité n’était pas une usurpation, c’était sa nature même ; il l’avait de toute éternité, éternel avec son Père, égal, absolument égal à lui. « Mais il s’est anéanti » ; c’est publier son incarnation. « Il s’est anéanti ». Comment ? Est-ce en quittant ce qu’il était et en prenant ce qu’il n’était pas ? Continuons à écouter l’Apôtre : « Il s’est anéanti en prenant une nature d’esclave[3] ». Ainsi donc s’est-il anéanti, en prenant une nature d’esclave et non pas en laissant sa nature de Dieu. Il s’est uni l’une sans se dépouiller de l’autre : voilà comment il faut confesser l’Incarnation ; d’où il suit que l’Arien ne la confesse pas. En effet, en ne croyant pas le Fils égal au Père, il ne le croit pas Fils. En ne croyant pas qu’il est Fils, il ne croit pas non plus qu’il est le Christ. Or, en ne croyant pas au Christ, comment croire à l’Incarnation du Christ ?

6. Ainsi en est-il de l’Eunomien, son pareil, son associé et qui a peu de différences avec lui. Les Ariens, dit-on, admettaient au moins que le Fils est semblable au Père ; ils ne le disaient point égal à lui, mais semblable ; tandis que l’Eunomien ne veut même pas de cette similitude. N’est-ce pas aussi nier le Christ ? Effectivement, si le Christ, si le vrai Fils de Dieu est à la fois égal et semblable à son Père, n’est-ce pas le nier que de prétendre qu’il n’a ni cette égalité ni cette similitude ? N’est-ce pas aussi nier par là même son incarnation ? Je demande : Le Christ s’est-il incarné ? – Oui, répond l’Eunomien. – Nous serions portés à croire qu’il a la foi. Je poursuis. – Quel est le Christ qui s’est incarné ? Est-il égal ou inégal au Père ? – 2 est inégal. – Ainsi c’est un être inégal au Père qui selon toi s’est incarné. Donc ce n’est pas le Christ, puisque le Christ est égal au Père.

7. Voici le Sabellien. Le Fils, dit-il, n’est pas distinct du Père ; c’est là qu’il fait une large ouverture à la foi pour répandre au loin le poison de sa doctrine. Le Fils, selon lui, n’est pas différent du Père. Dieu, comme il le veut, est tantôt Père et tantôt Fils. Mais ce n’est pas là le Christ, et tu t’égares si tu crois à l’incarnation d’un tel Christ ; ou plutôt tu ne crois pas à l’Incarnation du Christ, puisque cet être n’est pas le Christ.

8. Et toi, Photin, que dis-tu ? – Que le Christ n’est pas Dieu et qu’il est simplement un homme. – Ainsi tu admets en lui la nature humaine et non la nature divine. Pourtant le Christ, dans sa nature divine, est égal à Dieu, tandis que sa nature humaine le rend semblable à nous. Toi donc aussi, tu nies l’Incarnation du Christ.

9. Que pensent les Donatistes ? Il en est parmi eux qui admettent avec nous que le Fils est égal au Père et de même nature que lui ; d’autres reconnaissent l’identité de nature et rejettent l’égalité. Pourquoi argumenter contre ces derniers ? En rejetant l’égalité ils nient la filiation ; en niant la filiation ils nient le Christ. Mais dès qu’ils nient le Christ, comment croient-ils à l’Incarnation du Christ ?

10. Il faut raisonner davantage contre ceux qui confessent avec nous que le Fils est égal au Père, qu’il a la même nature et la même éternité, tout en restant Donatistes. Disons-leur donc : Vous confessez de bouche, mais vous niez par vos actes. On peut en effet nier par ses actes, et toute négation ne consiste pas en paroles, il est des négations par effets. Adressons-nous à l’Apôtre : « Tout est pur, dit-il, pour ceux qui sont purs ; mais pour les impurs et les infidèles rien, n’est pur ; leur esprit et leur conscience sont souillés. Ils publient qu’ils connaissent Dieu, et ils le nient par leurs œuvres[4] ». Qu’est-ce que le nier par ses œuvres ? C’est se livrer à l’orgueil et établir des divisions ; c’est mettre sa gloire, non pas en Dieu, mais dans un homme. N’est-ce pas

  1. Gen. 1, 1
  2. Jn. 1, 1-3
  3. Phi. 2, 6-7
  4. Tit. 1, 15-16