Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VII.djvu/197

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3. Ainsi donc les bergers viennent de près voir le Christ, et les Mages viennent de loin l’adorer. Cette humilité a mérité au sauvageon d’être greffé sur l’olivier franc et, contre sa nature, de produire des olives véritables[1] ; la grâce changeant ainsi la nature. Le monde entier était couvert de ces sauvageons amers ; et une fois greffé par la grâce le monde entier s’est adouci et éclairé. Des extrémités de la terre accourent des hommes qui disent avec Jérémie : « Il n’est que trop vrai, nos pères ont adoré le mensonge[2] ». Et ils viennent, non pas d’un côté seulement, mais comme l’enseigne l’Évangile de saint Luc, « de l’Orient cet de l’Occident, du Nord et du Midi », pour prendre place avec Abraham, Isaac et Jacob, au festin du royaume des cieux[3]. Ainsi c’est des quatre points cardinaux que à grâce de la Trinité appelle à la foi l’univers entier. Or ce nombre quatre multiplié par unis, est le nombre sacré des douze Apôtres, lesquels paraissaient figurer ainsi que le salut serait accordé aux quatre parties du monde par la grâce de l’auguste Trinité. Ce nombre était marqué aussi par cette nappe immense que saint Pierre aperçut remplie de toutes sortes d’animaux[4], représentant tous les Gentils. Suspendue aux quatre coins elle fut à trois reprises descendue du ciel puis remontée : trois fois quatre font douze. Ne serait-ce pas pour ce motif que durant les douze jours qui suivirent la naissance du Seigneur, les Mages, les prémices de la Gentilité, furent en marche pour aller voir et adorer le Christ, et méritèrent d’être sauvés eux-mêmes ainsi que d’être le type du salut de tous les Gentils ? Ah ! célébrons donc ce jour encore avec la plus ardente dévotion ; si nos pères dans la foi ont adoré le Seigneur Jésus couché dans un humble réduit, nous aussi adorons-le maintenant qu’il habite au ciel. Car cette gloire que les Mages saluaient dans l’avenir, nous la voyons dans le présent. Les prémices des Gentils adoraient l’Enfant attaché au sein de sa Mère ; les Gentils adorent aujourd’hui le Triomphateur siégeant à la droite de Dieu son Père.


SERMON CCIV. POUR L’ÉPIPHANIE. VI. LA PIERRE ANGULAIRE.

ANALYSE. – Déjà le jour même de Noël les Juifs s’étaient attachés au Sauveur ; c’est aujourd’hui le tour des Gentils, représentés par les Mages. Ainsi s’accomplit la prophétie qui montre Jésus-Christ comme la pierre angulaire où viennent s’unir les Juifs et les Gentils. S’il est dit que les Juifs ont rejeté cette pierre, c’est qu’il y avait au sein de ce peuple deux partis figurés par le patriarche Jacob, que l’Écriture nous représente comme étant à la fois boiteux et comblé des bénédictions divines.

1. Nous célébrions, il y a quelques jours, la naissance du Seigneur ; nous célébrons aujourd’hui son Epiphanie, expression d’étymologie grecque qui signifie manifestation, et qui rappelle ces mots de l’Apôtre : « Il est grand sans aucun doute le mystère de piété qui s’est manifesté dans la chair[5] ». Il y a donc deux jours où le Christ s’est manifesté. Dans l’un il a quitté, comme homme, le sein de sa Mère, lui qui est éternellement, comme Dieu, dans le sein de son Père. C’est à la chair qu’il s’est montré alors, puisque la chair ne pouvait le voir dans sa nature spirituelle. Au jour donc de sa naissance il a été contemplé par des bergers de la Judée ; et aujourd’hui, le jour de son Épiphanie ou de sa manifestation, il a été adoré par des Mages de la Gentilité. Aux uns il fut annoncé par des anges, aux

  1. Rom. 11, 17.
  2. Jer. 16, 19.
  3. Luc. 13, 29.
  4. Act. 10, 11.
  5. 1Ti. 3, 16.