Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VII.djvu/33

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toute mesure ? » Ils signifient que la violation de la loi s’est ajoutée au péché. Par conséquent la loi a servi à faire connaître l’humaine faiblesse. Ce n’est pas assez, elle a servi à augmenter le mal pour déterminer au moins alors à recourir au médecin. On aurait dédaigné le mal, s’il n’eût été que léger ; en le dédaignant on n’aurait, pas eu recours au médecin, et n’y recourant pas on n’aurait pas guéri. Aussi bien la grâce a-t-elle surabondé où avait abondé le péché[1] ; elle a effacé tous les crimes qu’elle a rencontrés ; elle a de plus soutenu l’effort de notre volonté pour ne plus pécher. Ainsi, ce n’est pas en elle-même, c’est en Dieu que doit s’applaudir notre volonté, car il est écrit : « C’est en Dieu que mon âme se glorifiera tout le jour[2] » ; et encore : « C’est dans le Seigneur que se glorifiera mon âme : cœurs doux, écoutez et réjouissez-vous[3] ». – « Écoutez, cœurs doux » ; car les esprits superbes et disputeurs ne savent pas écouter. Mais pourquoi n’est-ce pas cette loi ancienne, écrite aussi par le doigt de Dieu, qui communique cet indispensable secours de la grâce dont nous parlons ? Pourquoi ? Parce qu’elle est écrite sur des tables de pierre et non sur les tables charnelles du cœur[4].

5. Voyez du reste, mes frères, l’analogie profondément mystérieuse qui unit les deux lois, et la différence qui sépare les deux peuples. L’ancien peuple, vous le savez, célébrait la Pâque en immolant et en mangeant un agneau avec des pains azymes : cette immolation de l’agneau figurait l’immolation du Christ, et les pains azymes la vie nouvelle, la vie qui ne conserve rien de l’ancien levain. Aussi l’Apôtre nous dit-il : « Purifiez-vous du vieux levain, afin que vous soyez une pâte nouvelle, comme vous êtes des azymes ; car notre agneau pascal, le Christ, a été immolé[5] ». L’ancien peuple célébrait donc la Pâque non pas au grand jour, mais à l’ombre du mystère ; et cinquante jours après, comme chacun peut s’en assurer, il recevait, du haut du Sinaï, la loi écrite avec le doigt de Dieu. Voici venir le véritable agneau pascal : le Christ est mis à mort ; il nous fait passer ainsi de la mort à la vie. Aussi le mot hébreu Pâque signifie-t-il passage, ce que rappellent ces paroles d’un Évangéliste : « L’heure venait où Jésus devait passer de ce monde à son Père[6] ». Ainsi se célèbre cette Pâque : le Seigneur ressuscite, il fait la Pâque véritable ou le passage de la mort à la vie ; puis cinquante jours s’écoulent, et l’Esprit-Saint, ou le doigt de Dieu, descend.

6. Or voyez combien les circonstances sont diverses. Au Sinaï le peuple se tenait éloigné, c’était la crainte et non pas l’amour. Cette crainte les porta même à dire à Moïse : « Parle-nous, toi, et que le Seigneur ne nous parle plus : nous mourrions ». Dieu descendait bien sur la montagne, comme le rapporte l’Écriture, mais c’était au milieu des flammes, d’un côté jetant au loin la frayeur sur le peuple, et d’autre part écrivant avec son doigt sur la pierre[7], et non pas dans le cœur. Quand au contraire l’Esprit-Saint descendit, les fidèles étaient réunis, et au lieu de les effrayer du haut de la montagne, il pénétra dans leur demeure ; du ciel sans doute se fit entendre un bruit pareil à celui d’une tempête, mais ce bruit n’inspirait pas la terreur. Ici encore il y a du feu. Sur la montagne aussi on distinguait et le feu et le bruit : mais le feu y était accompagné de fumée, tandis que maintenant c’est un feu sans fumée. « Ils virent, dit l’Écriture, comme des langues de feu qui se partagèrent ». Ce feu jetait-il au loin l’épouvante ? Nullement : car « il se reposa sur chacun d’eux, et ils commencèrent à parler diverses langues, selon que l’Esprit-Saint leur inspirait de parler[8] ». Écoute cette langue qui parle : c’est le Saint-Esprit écrivant non pas sur la pierre mais dans le cœur. Or c’est cette loi de l’Esprit de vie », écrite dans le cœur et non sur la pierre, donnée « par Jésus-Christ », le véritable agneau pascal, qui « t’a affranchi de la loi de mort et de péché ». Telle est bien la différence manifeste qui distingue l’Ancien et le Nouveau Testament. Aussi l’Apôtre dit-il : « Non pas sur des tables de pierre, mais sur les tables charnelles du cœur[9] » ; et le Seigneur, par l’organe d’un prophète : « Voilà que les jours viennent, dit l’Éternel, et j’établirai avec la maison de Jacob une alliance nouvelle, non pas conforme à l’alliance que j’établis avec leurs pères lorsque je les pris par la main et que je les tirai de la terre d’Egypte » ; puis signalant avec précision la différence essentielle : « Je mettrai, dit-il, mes lois dans leurs

  1. Rom. 5, 20
  2. Psa. 33, 3
  3. Psa. 43, 9
  4. 2Co. 3, 3
  5. 1Co. 5, 7
  6. Jn. 13, 1
  7. Exo. 19, 20, 31, 18
  8. Act. 2, 1-4
  9. 2Co. 3, 3