Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VIII.djvu/152

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

au jour du jugement, et qui éloigneront complètement de Dieu quiconque aura négligé de se corriger ici-bas. Mais être complètement en dehors de Dieu, qu’est-ce autre chose que l’aveuglement complet ? Car Dieu habite une lumière inaccessible[1], et dans laquelle entreront ceux qu’il invitera, en disant : « Entrez dans la joie de votre Seigneur[2] ». Cette colère commence donc dès cette vie à peser sur tout pécheur. La crainte du dernier jugement arrache au Prophète des gémissements et des larmes ; il craint d’arriver à cette colère dont le commencement lui est déjà si douloureux ; aussi ne dit-il pas que « son œil s’est éteint », mais « qu’il a été troublé par cette colère ». Rien ne nous étonnerait encore s’il disait que son œil a été troublé par sa propre colère ; c’est peut-être en ce sens qu’il est dit : « Que le soleil ne se couche point sur votre colère[3] » parce que l’âme, dans ce trouble, ne pouvant voir Dieu, s’imagine que cette sagesse divine, ce soleil intérieur est en quelque sorte couché pour elle.

9. « J’ai vieilli au milieu de tous mes ennemis[4] ». Il avait parlé de colère, si c’est toutefois de sa propre colère ; mais en considérant tous les autres vices, il trouve qu’il en est environné. Comme ces vices nous viennent de notre première vie et du vieil homme dont il faut nous dépouiller pour revêtir l’homme nouveau, le psalmiste dit fort bien : « J’ai vieilli ». « Au milieu de tous mes ennemis » peut s’entendre ou des vices, ou des hommes qui ne veulent point retourner à Dieu ; car ces hommes, quoiqu’à leur insu, malgré leurs ménagements, bien qu’ils vivent en paix avec nous, dans les mêmes villes, sous le même toit, à la même table, qu’ils s’entretiennent souvent et paisiblement avec nous ; ces hommes, par leurs intentions contraires aux nôtres, sont ennemis de quiconque veut retourner à Dieu. Car si les uns aiment le monde et s’y attachent, et que les autres désirent en être délivrés, qui ne voit que les premiers sont ennemis des seconds, qu’ils entraînent, quand ils peuvent, dans les mêmes châtiments ? Et c’est une grande faveur de Dieu d’entendre journellement leur conversation, et de ne point s’écarter de la voie des commandements de Dieu. Souvent une âme qui s’efforce d’aller à Dieu, se laisse ébranler et s’effraie dans sa route, et la plupart du temps elle abandonne ses résolutions, parce qu’elle craint d’offenser ceux qui vivent avec elle, et qui recherchent avidement les biens passagers et périssables. Tout cœur parfaitement sain s’en sépare non de lieu, mais d’affection ; car l’amour est à l’âme ce qu’est pour les corps le lieu qui les contient.

10. Donc, après le labeur, le gémissement, et ces fréquentes effusions de larmes, comme on ne peut adresser en vain de si ferventes supplications à celui qui est la source de toutes les miséricordes, et dont il est dit, avec tant de vérité : « Le Seigneur est tout près des cœurs contrits[5] » ; après ces difficultés donc, toute âme pieuse, ou même l’Église, si vous le voulez, témoigne qu’elle a été exaucée. Voyez donc ce qu’elle ajoute : « Retirez-vous de moi, vous tous, artisans d’iniquité, parce que le Seigneur a entendu la voix de mes larmes[6] ». Ou le prophète annonce qu’au jour du jugement, les impies devront s’éloigner des bons et en seront séparés : ou il leur dit de se séparer à l’instant ; car s’ils font partie avec nous des mêmes grappes, néanmoins, jusque dans l’aire, les grains sont déjà dépouillés et séparés de cette paille qui les recouvre encore. Ils peuvent bien être entassés ensemble, mais le vent ne peut les enlever ensemble.

11. « Parce que le Seigneur a écouté la voix de mes larmes, le Seigneur a entendu mes supplications, le Seigneur a reçu ma prière[7] ». Cette répétition fréquente de la même pensée indique moins chez le psalmiste la nécessité de ce langage que le transport de sa joie. Quiconque est dans l’allégresse ne se contente point de nous en dire une fois le motif. Tel est le fruit de ce gémissement douloureux qui lui fait mouiller sa couche de ses larmes, et arroser son lit : « Car on ne sème dans les larmes que pour moissonner dans la joie[8] » ; et : « Bienheureux ceux qui pleurent, parce qu’ils seront consolés[9] ! »

12. « Confusion et trouble pour tous mes ennemis[10] ». Naguère le Prophète disait : « Eloignez-vous tous de moi », ce qui peut avoir lieu en cette vie, comme nous l’avons vu ; mais quand il parle de « confusion et d’effroi », je ne vois pas que cela se puisse entendre autrement que du jour qui mettra

  1. 1Ti. 6,16
  2. Mat. 25,21-22
  3. Eph. 4,26
  4. Psa. 6,8
  5. Ps. 33,19
  6. Id. 6,9
  7. Id. 10
  8. Id. 125,5
  9. Mt. 5,5
  10. Ps. 6,11