Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VIII.djvu/424

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ce que nous ne voyons pas, nous l’attendons par la patience »[1]. Et maintenant quelle peut donc être mon espérance ? » N’est-ce « point le Seigneur ? » Celui-là est mon attente, qui m’a donné tous les biens que je méprise ; et lui, qui est au-dessus de tout, doit se donner à moi, lui par qui tout a été fait, qui m’a fait parmi tant de merveilles, c’est le Seigneur qui est mon attente. Vous voyez Idithun, mes frères, vous voyez comme il espère. Que nul homme ici-bas ne se dise donc parfait ; le croire, ce serait de l’erreur, de l’illusion, de la séduction : nul ne peut être parfait en cette vie. De quoi lui servirait cette pensée qui lui ferait perdre l’humilité ? « Et maintenant, quelle est mon espérance, sinon le Seigneur ? » Quand il sera venu, on ne l’attendra plus ; alors viendra la perfection. Quelque progrès qu’ait fait Idithun, il attend toujours. « Tout mon être est toujours sous vos yeux ». Idithun s’élance, il marche vers Dieu, il commence à être quelque peu. « Toute ma substance est devant vous ». Mais cette substance est aussi devant les hommes. Tu as de l’or, tu as de l’argent, des esclaves, des terres, des arbres, des troupeaux, des serviteurs ; tout cela peut être vu des hommes ; mais il y a une substance qui est toujours devant toi : « Et ma substance est toujours sous vos yeux ».
14. « Délivrez-moi de toutes mes iniquités »[2]. Il est vrai que j’ai dépassé beaucoup de choses, que j’en ai beaucoup foulé aux pieds. « Mais dire que nous n’avons plus de péchés, c’est nous tromper nous-mêmes et n’avoir pas en nous la vérité »[3]. J’ai surpassé bien des choses, et néanmoins je frappe ma poitrine, en disant : « Remettez-nous nos dettes, comme nous remettons à ceux qui nous doivent »[4]. C’est donc vous, Seigneur, qui êtes mon espérance, vous qui êtes ma fin. « Car le Christ est la fin de la loi pour justifier ceux qui croient »[5]. Délivrez-moi donc de ces fautes que j’ai laissées en arrière, afin que je n’y retombe plus, mais absolument de toutes celles qui me font dire en frappant ma poitrine : « Remettez-nous nos dettes ». « Délivrez-moi de toutes mes iniquités », parce que je sens et tiens pour vraie cette parole de l’Apôtre : « Quelle que soit notre perfection, soyons dans ce sentiment ».
Après avoir dit qu’il n’était point encore parfait, il ajoute aussitôt ; « Quelle que soit notre perfection, soyons dans ce sentiment ». Qu’est-ce à dire : « Quelle que soit notre perfection ? » Déjà, Paul, vous aviez dit : « Non que j’aie atteint mon but ou que je sois parfait »[6]. Suivons l’ordre des paroles : « Tout ce que je sais, c’est que, oubliant ce qui est derrière moi, et m’avançant vers ce qui est devant moi, je m’efforce d’atteindre le but et de cueillir la palme à laquelle Dieu m’appelle d’en haut par Jésus-Christ ». Il n’est donc point encore parfait, puisqu’il poursuit cette palme de la suprême vocation de Dieu, qu’il n’a pas encore cueillie, qu’il n’a pas encore atteinte. S’il n’est point encore parfait, parce qu’il est encore en arrière, qui de nous est parfait ? Et néanmoins il ajoute aussitôt : « Quelle que soit notre perfection, ayons ces sentiments ». Quoi donc, ô Apôtre, vous n’êtes point parfait et nous le serions ? Avez-vous donc oublié, mes frères, que tout à l’heure il s’est dit parfait ? Car il n’a pas dit : « Vous qui êtes parfaits, soyez dans ce sentiment » ; mais bien : « Nous qui sommes parfaits, ayons ce sentiment » ; lui qui avait dit un peu avant : « Non que j’aie atteint le but et que je sois parfait ». Car tu ne peux être parfait ici-bas qu’à la condition de savoir que tu ne peux y être parfait. Ta perfection consiste donc à élever ton vol au-dessus de certains biens, pour en suivre d’autres ; à ne devancer les uns que pour voir celui qui reste à saisir, après avoir dépassé tous les autres. Telle est la foi certaine. Quiconque pense avoir atteint déjà le but, ne s’élève qu’afin de tomber.
15. Parce que tel est mon sentiment ; parce que je me dis tout à la fois imparfait et parfait : imparfait, puisque je n’ai point reçu l’objet de mes désirs ; parfait, puisque je comprends ce qui me manque ; parce qu’il y a dans mes sentiments du mépris pour les choses humaines, que je ne mets point ma joie dans les choses périssables, que je suis la dérision de l’avare qui vante sa sagesse, et m’accuse de folie, que telle est ma conduite et que je suis cette voie ; « voilà », dit le Prophète, « que vous m’avez rendu l’opprobre des insensés ». Vous m’avez condamné à vivre, condamné à prêcher au milieu des insensés ; je ne puis être pour eux qu’un sujet

  1. Rom. 8,24-25
  2. Ps. 38,9
  3. Jn. 1,8
  4. Mt. 6,12
  5. Rom. 10,4
  6. Phil. 3,12-15