Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VIII.djvu/578

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de tentations, de troubles et de scandales sans nombre ? Il n’y a ni obligation ni vertu à tolérer le bien. Mais puisqu’il est dans ce psaume question de cet homme, étudions-en le sens. Les hommes au milieu desquels il gémit et souffre, y sont réprimandés à cause de lui, et, à la fin, se trouvent et se lisent les motifs consolants qui peuvent soutenir la patience de ceux qui enfantent et qui souffrent. Quels sont donc ceux au milieu desquels nous gémissons et souffrons les travaux de l’enfantement, si nous appartenons au corps du Christ, si nous vivons sous le joug de son autorité suprême, si nous occupons une place parmi ses membres ? quels sont-ils ? Écoute, je vais te l’apprendre.
2. « L’insensé a dit dans son cœur : Il n’y a point de Dieu ». Voilà bien les hommes au milieu desquels souffre et gémit le corps du Christ ; et, si telle est cette classe d’hommes, le nombre de ceux que nous enfantons est bien petit ; autant que nous pouvons en juger, il n’y a guère de ces insensés, il paraît bien difficile de rencontrer un homme qui dise dans son cœur : « Il n’y a point de Dieu[1] ». Leur nombre est si restreint qu’ils craignent de s’exprimer ainsi dans la foule où ils vivent : c’est leur cœur qui le dit, car leur bouche n’oserait proférer de telles paroles. Il y en a donc bien peu que nous soyons obligés de supporter, c’est à peine si l’on en peut rencontrer. « Ceux qui disent dans leur cœur : Il « n’y a point de Dieu », sont rares. Mais si nous attachons un autre sens à ce texte, ces impies tout à l’heure si peu nombreux, si rares, presque introuvables, se trouvent tout à coup singulièrement multipliés ; ceux qui vivent mal se montrent à nous ; si nous considérons la conduite des scélérats, des criminels, des hommes corrompus dont le nombre est si grand, en un mot, des personnes qui se font du péché comme un besoin continuel et qui, à force de le commettre, ont perdu toute honte, quelle multitude s’offre à nos regards ! Placé au milieu d’elle, le corps du Christ ose à peine condamner en elle les fautes, dont elle cherche vainement à le rendre coupable : il s’estime trop heureux de conserver intacte son innocence, de ne pas faire ce que la coutume ne lui donne pas la hardiesse de blâmer ; et s’il ne craint point d’élever la voix contre tant de désordres, les réclamations, les cris des libertins ne tardent pas à étouffer la courageuse protestation de ceux qui marchent dans la voie du bien. Ils sont donc ainsi disposés, qu’ils disent dans leur cœur : « Il n’y a point de Dieu ». Je puis en donner la preuve ; la voici : Ils s’imaginent que leur conduite plaît à Dieu. Ils portent la croyance en Dieu, au point de penser qu’il approuve tout ce qu’ils font. Si, éclairé par la sagesse, tu comprends que « l’imprudent a dit dans son cœur : Il n’y a point de Dieu » ; si tu y fais réflexion, si tu examines bien ce fait et que tu en saisisses bien la portée, tu seras convaincu de ceci : c’est que l’homme qui croit que Dieu approuve sa mauvaise conduite, ne croit vraiment pas que Dieu soit Dieu. En effet, pour être Dieu il faut qu’il soit juste ; et, s’il est juste, l’injustice et l’iniquité lui déplaisent. Tu nies donc l’existence de Dieu, en prétendant qu’il est d’accord avec le péché. Si le Dieu qui déteste le mal est seul vrai Dieu, si d’autre part tu ne regardes pas comme tel le Dieu qui n’approuve point le péché, ce langage de ton cœur : Dieu approuve mes désordres, se réduit à celui-ci : Il n’y a point de Dieu.
3. Entendues dans un autre sens, ces paroles ont trait à notre chef, à Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-même. Lorsqu’il apparut en ce monde sous la forme d’esclave, ceux qui le crucifièrent dirent aussi : « Il n’est pas Dieu ». Le livre de la Sagesse avait cité par avance leurs paroles. Toutefois, fais d’abord attention au degré de corruption où ils étaient descendus pour être à même de dire en leur cœur : Il n’est pas Dieu . Après avoir lu ce verset : « L’imprudent a dit dans son cœur : Il n’y a pas de Dieu », nous trouvons bien exprimée dans le suivant la cause de ces paroles insensées : « Ils sont corrompus, ils sont devenus abominables dans leurs iniquités ». Tu le vois, ils se sont abandonnés à la corruption, puisque dans l’égarement de leurs pensées, ils ont tenu ce langage dans leur cœur. La désobéissance aux enseignements de la loi engendre la corruption, amène le dévergondage des mœurs, et précipite l’homme dans les derniers excès du mal ; telle est la marche que l’on suit pour en venir à nier Dieu. Quel langage tiennent en effet ceux dont les pensées ne sont pas droites ? « Notre vie est courte ; elle est traversée d’une infinité d’ennuis ». De ce premier dérèglement

  1. Ps. 13,1