Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VIII.djvu/622

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Il n’est pas étonnant que ces paroles déplaisent aux enfants étrangers qui se sont éloignés des justes, puisque la lumière des vivants ne brille point à leurs yeux, et qu’ainsi ils ne peuvent voir ce qui plaît à Dieu. La lumière des vivants, c’est la lumière des immortels, c’est le flambeau des saints. Celui qui n’est point plongé dans les ténèbres plaît if Dieu dans la lumière des saints. On examine un homme et tout ce qu’il a, et néanmoins on ne le connaît pas ; mais en lui il n’y a pas de mystère pour Dieu ; parfois le démon lui-même ne le connaît pas, et s’il ne le tente pas, il se voit réduit à ignorer qui il est. C’est ce qui est arrivé pour le saint homme Job, dont je parlais tout à l’heure. Dieu le connaissait parfaitement et rendait témoignage à sa vertu ; le démon ne le connaissait pas ; aussi disait-il : « Est-ce gratuitement que Job sert son Dieu ? » Voyez la manière dont il cherche à irriter Dieu ; c’est le sublime du genre ; voyez ce qu’il lui reproche. Devant Dieu Job était un bon serviteur, un homme soumis en toutes choses et parfait en toutes ses œuvres. Parce qu’il était riche et que l’abondance et la joie se trouvaient dans sa maison, le démon fit cette remarque que, si Job servait fidèlement le Seigneur, c’était sans doute à cause de tous les biens qu’il en avait reçus. « Est-ce gratuitement que Job sert son Dieu ? » Chez lui, l’amour gratuit pour Dieu était la vraie lumière, la lumière des vivants. Dieu, qui lisait dans le cœur de son serviteur, y voyait cet amour pur, et ce cœur éclairé de la lumière des vivants était pour lui un objet de complaisance ; et le démon l’ignorait, parce qu’il était plongé dans les ténèbres. Le Seigneur donna donc au démon le pouvoir de tenter Job, non pour acquérir par l’intermédiaire de celui-ci une connaissance qu’il avait déjà, mais pour mettre sous nos yeux un modèle à imiter. S’il n’en avait pas été ainsi, verrions-nous dans ce saint homme un exemple que nous devons et voulons suivre ? La tentation eut lieu ; Job perdit tout ce qu’il possédait : ses biens, ses serviteurs, ses enfants ; tout, excepté Dieu, lui fut enlevé ; il resta donc seul. Toutefois, Satan lui avait laissé sa femme ; mais, de sa part, était-ce un acte de commisération ? il se souvenait de celle qui l’avait aidé à séduire Adam ; s’il laissa à Job son Épouse, ce fut à titre de soutien pour lui-même, et non à titre de consolation pour sa généreuse victime. Rempli de Dieu, possédant en son âme les vœux et les louanges qu’il voulait offrir à l’Eternel, Job fit voir qu’il servait le Seigneur gratuitement, d’une manière désintéressée, et qu’après avoir tout perdu il était toujours le même, parce qu’il possédait encore Celui dont la munificence l’avait enrichi. « Le Seigneur m’avait tout donné, il me l’a ôté ; rien ne s’est fait sans la volonté du Seigneur : que son saint nom soit béni ! » Couvert de plaies depuis les pieds jusqu’à la tête, mais l’âme saine, éclairé de la lumière des vivants, de la lumière qui brillait dans son cœur, il répondit aux infernales suggestions de sa femme : « Tu as parlé comme une femme qui a perdu le sens[1] », c’est-à-dire, comme une femme que n’éclaire point la lumière des vivants, car la lumière des vivants c’est la sagesse, et les ténèbres des insensés c’est la folie. « Tu as parlé comme une femme qui a perdu le sens ». Tu vois mon corps, mais tu n’aperçois pas le flambeau qui illumine mon cœur. N’aurait-elle pas dû alors aimer son mari d’un amour plus vif ? Elle l’aurait pu, mais ses yeux étaient incapables de contempler la beauté intérieure de cette âme d’élite ; elle ignorait combien ce cœur était agréable à Dieu, en raison des vœux et des louanges dont il était rempli et qu’il voulait offrir au Tout-Puissant. Admirable impossibilité pour le démon, de ravir ce trésor si précieux ! Merveilleuse conservation de ce bien intérieur que Job possédait et voulait posséder plus parfaitement encore en marchant de vertus en vertus ! Mes frères, puissent tous ces exemples nous porter à aimer Dieu gratuitement, à placer toujours en lui notre espérance, et à ne craindre ni les hommes ni les démons ! Ni les uns ni les autres ne peuvent agir contre nous sans la permission de Dieu, et jamais Dieu ne permet que ce qui peut nous être utile. Supportons les méchants et soyons bons, car nous avons été méchants nous-mêmes, et ceux-là encore dont nous osons nous permettre de désespérer, Dieu les sauvera pour rien. Ne désespérons donc du salut de personne ; prions pour tous ceux qui nous font souffrir, et ne nous éloignons jamais de Dieu. Qu’il soit notre richesse, notre espérance et notre salut ; il est ici-bas notre consolateur, au ciel il sera notre

  1. Job. 2,10