Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/156

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droite de ce qui est la gauche ; c’est-à-dire qui donnent la préférence aux biens temporels, qui y placent leur bonheur, dans leur ignorance du vrai bonheur, de la véritable droite[1]. L’Écriture les nomme étrangers, comme n’appartenant pas à Jérusalem, mais à Babylone : c’est d’eux qu’il est dit en quelque endroit des psaumes : « Délivrez-moi, Seigneur, de la main des enfants étrangers, dont la bouche dit le mensonge, et dont la droite est une droite d’injustice ». Et le Psalmiste continue en disant : « Leurs fils sont comme de nouveaux plants d’oliviers ; leurs filles sont parées comme des temples ; leurs celliers sont pleins, s’épanchant de l’un dans l’autre ; leurs brebis sont fécondes, et s’en vont en foule de l’étable ; leurs vaches sont grasses, leurs clôtures ne sont point en ruine, et nul bruit sur leurs places publiques[2] ». Jouir de ce bonheur, est-ce donc être coupable ? Non, sans doute ; mais d’en faire la droite, Puisque telle est la gauche. Aussi, que dit le Prophète ? « Ils ont appelé heureux le peuple qui possède ces biens ». Or, c’est parce qu’ils l’ont proclamé heureux que leur bouche a dit des vanités. Mais toi, ô Prophète, tu es citoyen de Jérusalem, puisque tu n’oublies pas Jérusalem, de peur que ta droite ne s’oublie ; voilà que ces hommes ont dit la vanité en chantant le bonheur d’un peuple qui possède ces richesses : pour toi, chante-nous les hymnes de Sion. « Bienheureux », nous dit-il, « le peuple dont le Seigneur est le Dieu[3] ». Sondez vos cœurs, mes frères, voyez si vous avez soif des biens de Dieu, si vous soupirez après la cité de Dieu, la sainte Jérusalem, si vous désirez la vie éternelle. Que tout bonheur terrestre soit la gauche pour vous, et qu’il soit votre droite, celui que vous posséderez toujours. Si vous avez la gauche, n’y mettez point votre confiance ; ne reprenez-vous pas ceux qui veulent manger de la gauche ? Si vous croyez votre table déshonorée, parce qu’on y mange de la sorte, quelle injure n’est-ce point pour celle du Seigneur, que prendre pour la gauche ce qui est la droite, et pour la droite ce qui est la gauche ? Que faire alors ? « O Jérusalem, si jamais je t’oublie, que ma main droite s’oublie elle-même ».
17. « Que ma langue s’attache à mon palais, si je ne me souviens de toi[4] ». C’est-à-dire, que je demeure muet si ton souvenir s’efface de ma mémoire. Que dire, en effet ; de quoi parler, si l’on ne parle des cantiques de Sion ? Notre langue est elle-même le cantique de Jérusalem. Chanter notre amour pour ce bas monde, c’est une langue étrangère, une langue barbare, et que nous avons apprise dans notre captivité. Il sera donc muet pour Dieu, celui qui aura oublié Jérusalem. Mais c’est peu de s’en souvenir ; ils s’en souviennent aussi, ses ennemis qui la veulent détruire. Quelle est, disent-ils, cette cité ? Quels sont ces chrétiens ? Quelle est leur vie ? Encore s’ils n’étaient plus ! Voilà que la nation captive a vaincu ceux qui la tenaient en captivité, et toutefois ils murmurent, ils frémissent, ils veulent détruire la cité sainte étrangère parmi eux, comme autrefois Pharaon voulut détruire le peuple de Dieu, quand il faisait mettre à mort tout enfant mâle, et ne réservait que les filles : il étouffait la force et nourrissait la convoitise. C’est donc peu de s’en souvenir, vois quel souvenir tu en as. Il est des souvenirs de haine et des souvenirs d’amour. Aussi après avoir dit : « Si jamais je t’oublie, ô sainte Jérusalem, que ma main droite s’oublie elle-même. Que ma langue s’attache à mon palais, si tu ne vis dans ma mémoire », le Prophète ajoute : « Si Jérusalem n’est pas toujours la première de mes joies ». Car, la joie suprême pour nous, c’est de jouir de Dieu, c’est de goûter en toute sécurité le bonheur d’une société paisible, et de l’union fraternelle. Là, nulle tentation violente, nul attrait dangereux ne pourra nous atteindre, le bien seul aura pour nous des charmes. Toute nécessité disparaîtra et fera place au bonheur suprême. « Si Jérusalem n’est point la première de mes joies ».
18. Le Prophète en appelle au Seigneur, contre les ennemis de la cité : « Souvenez-vous, Seigneur, des fils d’Edom[5] ». Or, Edom est ici le même qu’Esaü, et vous avez entendu tout à l’heure à la lecture de l’Apôtre : « J’ai aimé Jacob, et haï Esaü[6] ». C’étaient deux frères dans un même sein, deux jumeaux dans les entrailles de Rébecca, deux fils d’Isaac, petits-fils d’Abraham. Néanmoins ils naquirent, l’un pour être admis à l’héritage, l’autre pour en être exclu. Or, cet Esaü

  1. Voir discours sur le Ps. 120, n. 8
  2. Ps. 143,7-8
  3. Id. 15
  4. Ps. 136,6
  5. Id. 7
  6. Gen. 25,30