Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/155

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s’attacher à la créature. Qu’il se prémunisse dès lors contre l’orgueil, et s’assoie sur le fleuve de Babylone. Car lui recommander de ne point s’enorgueillir, c’est lui dire de s’asseoir. Qu’il ne se confie point dans les richesses qui sont incertaines, et qu’il se tienne assis sur les fleuves de Babylone. Mettre sa confiance en des biens inconstants, c’est se laisser entraîner par le fleuve ; mais s’humilier, éviter l’orgueil, se délier des richesses incertaines, c’est se tenir assis sur le fleuve de Babylone et soupirer vers la Jérusalem éternelle au souvenir de Sion, et, pour parvenir à Sion, donner son bien aux pauvres. Tel est pour les riches le cantique qui leur vient de Sion. Qu’ils travaillent dès lors, qu’ils touchent la harpe, et sans perdre un instant, quand ils rencontreront un homme qui leur dira : Que fais-tu ? c’est perdre tes biens que faire autant d’aumônes : amasse pour tes enfants. Quand, dis-je, ils rencontreront de ces hommes incapables de comprendre nos œuvres, et qu’ils trouveront en eux le saule stérile, qu’ils ne s’arrêtent pas à rendre raison de leurs œuvres, à les faire connaître, qu’ils suspendent leurs harpes aux saules de Babylone. Mais en dehors de ces saules, qu’ils chantent, qu’ils travaillent sans relâche. Ce n’est point perdre que faire l’aumône. Confié à ton esclave, ton dépôt serait en sûreté ; confié au Christ, sera-t-il en péril ?
14. Vous venez d’entendre le cantique de Sion pour les riches, écoutez celui des pauvres, C’est toujours saint Paul qui parle : « Nous n’avons rien apporté en ce monde, et sans aucun doute nous n’en pouvons rien emporter ; ayant de quoi vivre, de quoi nous vêtir, nous devons être contents. Quant à ceux qui veulent s’enrichir, ils tombent dans la tentation et en des désirs sans nombre, insensés et nuisibles, qui plongent l’homme dans la mort et dans la perdition[1] », Voilà les fleuves de Babylone. « Or, l’avarice est la racine de tous les maux ; quelques-uns de ceux qui en sont possédés, se sont égarés de la foi, et se sont jetés dans de grandes douleurs[2] ». Ces deux hymnes sont-ils donc en contradiction ? Voyez ce que l’on dit aux riches, « de ne point s’enfler d’orgueil, ni se confier dans les richesses qui sont incertaines[3] », de faire des bonnes œuvres, des aumônes, de s’amasser pour l’avenir un trésor et un fondement solide. Aux pauvres, qu’est-il dit ? « Ceux qui veulent s’enrichir, tombent dans la tentation ». On ne dit point : Ceux qui sont riches ; mais « ceux qui veulent s’enrichir ». Autrement, s’ils étaient déjà riches, l’autre cantique serait pour eux. On dit aux riches de donner, aux pauvres de ne point désirer.
15. Mais quand vous vous trouvez avec ces hommes qui ne comprennent point les cantiques de Sion, suspendez, vous ai-je dit, vos harpes aux saules du rivage : différez ce que vous devez dire. Ces arbres peuvent cesser d’être stériles, changer de nature et porter de bons fruits : c’est alors que nous pourrons chanter et qu’ils nous comprendront. Mais avec ceux qui contredisent toutes nos paroles, qui font des questions insidieuses, et s’obstinent contre les vérités qu’ils entendent, ne cherchez jamais à leur plaire, craignez d’oublier Jérusalem ; que cette Jérusalem de la terre n’ayant qu’une même âme, parce que la paix du Christ a réuni toutes les âmes en une seule, que cette captive s’écrie : « Si jamais je t’oublie, ô sainte Jérusalem, que ma main droite s’oublie elle-même[4] ». Quelle imprécation, mes frères ! « Que ma main droite s’oublie elle-même ». Quel effroyable serment ! Notre main droite, c’est la vie éternelle ; notre gauche, la vie d’ici-bas, Toute œuvre pour la vie éternelle est l’œuvre de la droite. Si, dans tes actions, au désir de la vie éternelle se trouve mêlé quelque amour de la vie temporelle, ou d’une louange humaine, ou de quelque avantage mondain, ta main gauche connaît alors ce que fait ta main droite. Or, vous connaissez le précepte de l’Évangile : « Que votre main gauche ignore ce que fait votre main droite[5]. Si donc je t’oublie, ô Jérusalem, que ma main droite s’oublie elle-même ». Et c’est ce qui est arrivé ; la parole du Prophète est plus une prédiction qu’un souhait. Car, à tout homme qui oublie Jérusalem, il arrive que sa droite elle-même s’oublie. Car la vie éternelle subsiste en – elle-même ; pour eux, ils demeurent dans les plaisirs du temps, et se font une droite de ce qui est la gauche.
16. Soyez attentifs à mes paroles, mes frères, et je veux vous parler autant que Dieu m’en fera la grâce pour le salut de tous. Il vous souvient peut-être que je vous ai entretenus de certains hommes, qui se font une

  1. 1 Tim. 6,7-9
  2. Id. 10
  3. Id. 17,19
  4. Ps. 136,5
  5. Mt. 6,3