Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/158

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et Dieu crie à son tour : « Soyez assujettis[1] ». Laquelle de ces paroles sera victorieuse, sinon la parole de Dieu qui a dit : « L’aîné sera assujetti au plus jeune[2] ? Détruisez, détruisez jusqu’en ses fondements ».
20. Puis s’adressant à Babylone : « O fille de Babylone », s’écrie le Prophète, « malheur à toi[3] ». Malheur à toi dans ton allégresse, malheur dans ta confiance, malheur dans tes inimitiés. « Malheur à toi, fille de Babylone ». Cette même cité est nommée Babylone et fille de Babylone ; comme on dit Jérusalem et fille de Jérusalem, Sion et fille de Sion, l’Église et la fille de l’Église. Le nom de fille s’entend de la succession, le nom de mère désigne sa supériorité. Tout d’abord il y eut une ville de Babylone ; mais des habitants ont-ils subsisté jusqu’aujourd’hui ? Par la succession des temps elle est devenue fille de Babylone. « Malheur à toi donc, ô fille de Babylone, bienheureux celui qui te rendra les maux que tu nous a faits[4] ». Malheur à toi, honneur à lui.
24. Qu’as-tu fait, et que faut-il te rendre ? Écoute bien. « Heureux celui qui te rendra tous les maux que tu nous a faits ». De quels maux veut-il parler ? C’est là ce qui termine le psaume : « Bienheureux celui qui saisira tes enfants et les brisera contre la pierre[5] ». Tel est son malheur, et bienheureux celui qui la traitera comme elle nous a traités. Or, si nous cherchions quel est ce traitement : « Bienheureux », dit le Prophète, « celui qui saisira tes enfants et les brisera contre la muraille ». Tel est ce traitement. Que nous a fait cette Babylone ? Nous l’avons chanté dans un autre psaume : « Les paroles des méchants ont prévalu contre nous[6] ». À notre naissance, Babylone ou la confusion du siècle nous a enveloppés, et dans notre enfance nous a en quelque sorte suffoqués dans ses erreurs si diverses et si multipliées. Voilà un nouveau-né qui sera un jour citoyen de la Jérusalem d’en haut, qui l’est déjà par la prédestination de Dieu, mais qui est encore pour un temps dans la captivité. Comment saura-t-il aimer, sinon ce que lui inspirent son père et sa mère ? Or, les voilà qui l’instruisent, qui le forment à l’avarice, à la rapine, aux mensonges de chaque jour, à l’idolâtrie et au culte des démons, aux coupables pratiques des enchantements et des ligatures. Que fera cet enfant, dans un âge si tendre, qui n’a des yeux que pour voir ce que font ses aînés ; que peut-il faire, sinon de suivre leur exemple ? C’est donc ainsi que Babylone nous a persécutés dans notre enfance : mais, à mesure que nous avons grandi, Dieu nous a fait la grâce de le connaître et de nous détourner des errements de nos pères. C’est la prédiction que je vous ai signalée dans l’explication du même psaume[7] : « Les nations viendront à vous des extrémités de la terre et diront : Véritablement nos pères ont adoré le mensonge et la vanité qui ne leur ont servi de rien[8] ». C’est le langage que tiennent des hommes dans leur force : on les avait mis à mort dans leur jeune âge, en leur faisant suivre ces vanités ; qu’ils repoussent bien loin ces vanités, qu’ils reprennent une vie nouvelle en Dieu, en s’avançant dans la vertu et se vengeant de Babylone. Or, que peuvent-ils lui rendre ? Ce qu’elle nous a fait. Que ses enfants soient étouffés : ou plutôt, qu’on les brise contre la muraille et qu’ils meurent. Mais quels sont ces enfants de Babylone ? Les convoitises coupables qui naissent en nous. Il en est qui ont à livrer de rudes combats contre leurs passions invétérées. Qu’une passion vienne à poindre dans ton cœur, avant qu’elle ne se fortifie contre toi par l’habitude, quand ce n’est qu’une passion nouvellement formée, ne lui laisse pas le temps de grandir par l’habitude, mais étouffe-la dès sa naissance. Et si tu crains qu’elle ne meure pas même en l’étouffant, brise-la contre la pierre. « Or, cette pierre c’est le Christ[9] ».
22. Que vos harpes, mes frères, ne cessent de retentir par vos bonnes œuvres ; chantez-vous mutuellement les cantiques de Sion. Autant vous aimez d’écouter, autant il faut aimer de pratiquer ; si vous ne voulez être à Babylone, abreuvés de l’eau de ses fleuves, mais ne rapportant aucun fruit. Mais soupirez après la Jérusalem éternelle : c’est là que l’espérance nous a devancés, que nos œuvres nous y suivent ; c’est là que nous serons avec le Christ. Maintenant notre chef c’est le Christ, lui qui nous gouverne d’en haut : c’est dans cette cité bienheureuse que nous jouirons de ses embrassements, et que nous serons égaux avec les anges. C’est là ce que de nous-mêmes

  1. Gen. 25,23
  2. Rom. 9,13
  3. Ps. 136,8
  4. Id. 9
  5. Id.
  6. Id. 64,4
  7. Voir discours sur le Ps. 64, n. 6
  8. Jer. 16,19
  9. 1 Cor. 10,4