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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/215

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point connu ». Ce n’est donc point le monde fait par Jésus qui est régi par les princes et par les puissances des ténèbres[1] ; mais le monde qui n’a point connu Jésus-Christ, c’est-à-dire les amis du monde, les pécheurs, les injustes, les orgueilleux et les infidèles. Comment les pécheurs sont-ils le monde ? Parce qu’ils aiment le monde, et qu’en l’aimant ils habitent le monde ; comme on appelle maison et la bâtisse et ceux qui l’habitent. Dire d’une maison qu’elle est bonne, s’entend souvent de la bâtisse, comme une bonne maison s’entend aussi de ceux qui y demeurent. Mais on dit encore en deux manières : Gare à cette maison ! elle est mauvaise ; tantôt c’est parce qu’elle menace ruine, et que tu pourrais y être écrasé ; tantôt : Prends garde à cette maison, signifie : gare au lac des chasseurs, crains, ô pauvre, d’y être opprimé par le riche, ou victime de quelque fraude. Comme donc il y a maison et maison, de même il y a monde et monde. Mais pourquoi les justes, qui sont aussi dans le monde, ne sont-ils point appelés le monde ? L’Apôtre l’a dit : « Étant dans la chair, nous ne combattons pas selon la chair[2] ; mais notre conversation est dans le ciel[3] ». Le juste habite dans la chair ; mais son cœur est en Dieu. Lui-même est appelé monde, si c’est en vain qu’il entend : En haut les cœurs ; mais s’il ne l’entend pas en vain, qu’il habite en haut. « Vous êtes morts », dit l’Apôtre, « et votre vie est cachée en Dieu avec le Christ[4] ». Mais ceux dont la vie est ici-bas, c’est-à-dire ceux dont les affections et les désirs se traînent sur la terre, rétrécis et embarrassés, sont justement appelés mondains. Car il est aussi naturel d’appeler monde ceux qui habitent le monde, que d’appeler maison ceux qui demeurent dans une maison. Il y a donc monde et monde ; « le monde a été fait par lui, et le monde ne l’a point connu ». Voilà donc un monde fait par le Seigneur, et un monde qui n’a point connu le Seigneur. Chante l’édifice, aime l’architecte, et sans désirer d’habiter dans l’édifice, habite dans l’architecte lui-même.
16. « Délivrez-moi de ceux qui me poursuivent ; car ils se sont fortifiés contre moi ». De qui cette parole : « Ils se sont fortifiés coutre moi ? » C’est la plainte du corps du Christ, la plainte de l’Église, la plainte des membres du Christ, qui s’écrient : Voilà que s’accroît le nombre des pécheurs. « Or, à mesure que se multiplie l’iniquité, la charité se refroidit chez plusieurs[5]. Délivrez-moi de ceux qui me persécutent, parce qu’ils se sont fortifiés contre moi ».
17. « Délivrez mon âme de son cachot, afin qu’elle confesse votre nom ». Nos devanciers ont entendu ce cachot de différentes manières, et peut-être est-ce bien ce cachot qui est désigné dans la « caverne » du titre. Voici en effet le titre du psaume : « Prière intelligente pour David lui-même, quand il était dans la caverne ». Cette caverne serait alors le cachot dont nous parlons. Voici deux points à expliquer ; comprendre l’un, c’est aussi comprendre l’autre. Les mérites font le cachot ; car une même demeure peut être une prison pour l’un, une habitation pour l’autre, Celui qui garde un captif, le gardât-il dans sa propre maison, et celui qui est gardé, voilà deux hommes qui sont dans la prison ; mais dira-t-on du premier qu’il est en prison ? C’est une même demeure pour l’un et pour l’autre ; mais la liberté en fait pour l’un une maison, la captivité une prison pour l’autre. Quelques-uns donc ont pensé que cette caverne, ce cachot c’est le monde, et que l’Église demande à Dieu d’être délivrée de cette prison, c’est-à-dire de ce monde qui est sous le soleil, où tout est vanité, Car il est dit : « Tout est vanité et présomption d’esprit dans toute entreprise et tout labeur de l’homme sous le soleil[6] ». Dieu donc nous promet que hors de ce monde nous serons dans je ne sais quel repos ; et c’est peut-être ce qui nous fait dire à propos de cette terre : « Délivrez mon âme de sa prison ». Par la foi et par l’espérance, notre âme est en Jésus-Christ, comme nous l’avons dit tout à l’heure : « Votre vie us est cachée en Dieu avec le Christ[7] ». C’est notre corps qui est dans la prison, qui est dans le monde. Si le Prophète disait : Tirez mon corps de la prison, nous comprendrions que la prison c’est le monde. Et néanmoins, peut-être à cause de tout ce qui nous retient dans le monde, de ces convoitises terrestres contre lesquelles nous avons à lutter et à combattre ; car « nous sentons dans nos membres une loi qui est contraire à la loi de l’esprit[8] », avons-nous raison de dire : Délivrez mon âme de ce monde, c’est-à-dire des fatigues et des tribulations de cette vie.

  1. Eph. 6,12
  2. 2 Cor. 10,3
  3. Phil. 3,20
  4. Col. 3,3
  5. Mt. 24,12
  6. Eccl. 1,2-3
  7. Col. 3,3
  8. Rom. 7,23