Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/229

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3. « Béni soit le Seigneur mon Dieu, qui as instruit mes mains au combat, et mes doigts à la guerre[1] ». Ce cri vient de nous, si nous appartenons au Christ. Bénissons le Seigneur notre Dieu, qui instruit nos mains au combat, et nos doigts à la guerre. Il semble qu’il y ait ici une répétition, et que nos mains au combat n’aient d’autre sens que mes doigts à la guerre. Est-il une différence entre la main et les doigts ? Car la main n’agit que par les doigts. On pourrait donc sans absurdité prendre les doigts pour la main. Et toutefois, dans les doigts nous trouvons la division de l’action et la racine de l’unité. Vois cet effet de la grâce dans cette parole de l’Apôtre : « L’un reçoit du Saint-Esprit le don de parler avec sagesse, l’autre reçoit du même Esprit le don de parler selon la science ; un autre reçoit le don de la foi dans le même Esprit, un autre reçoit du même Esprit le don de guérir les malades, un autre le don de parler diverses langues, un autre le don de prophéties, un autre le discernement des esprits. Or, c’est un seul et même Esprit qui opère toutes ces choses, distribuant à chacun ses propres dons, comme il lui plaît[2] ». Mais faire ce don à l’un, cet autre don à l’autre, c’est là une diversité d’opérations. Toutefois, comme « c’est un seul et même esprit qui opère toutes ces choses », nous trouvons ici la racine de l’unité. C’est donc par ces doigts que le Christ combat, qu’il marche à l’ennemi, qu’il s’avance en bataille.

4. Pour ce qui est de ces guerres et de ces combats, il serait long de les exposer, et il est plus facile de les soutenir que de les expliquer. Mais nous avons une guerre dont l’Apôtre nous dit : « Ce n’est plus contre la chair et le sang qu’il nous faut combattre[3] », c’est-à-dire contre les hommes qui semblent vous persécuter ; ce n’est point contre eux que vous combattez, « mais contre les princes et les puissances, contre les directeurs du monde ». Et de peur que par le monde vous n’entendiez le ciel et la terre, il vous montre ce qu’il entend par là : « De ces ténèbres », nous dit-il. Ce monde n’est donc point celui qu’il a fait et dont l’Évangile nous dit : « Et le monde a été fait par lui » ; mais c’est le monde qui ne l’a point connu, car il est dit aussi : « Et le monde ne l’a point connu ». Ces ténèbres ne sont point telles par nature, mais par volonté. L’âme ne s’éclaire point par elle-même. Quand elle est humble, elle chante avec humilité et avec vérité : « C’est vous, Seigneur, qui faites luire mon flambeau ; ô Dieu, éclairez nos ténèbres[4] ». Et encore : « C’est en vous qu’est la source de la vie ; et c’est en votre lumière que nous verrons la lumière[5] ». Non point en la nôtre, mais en votre lumière. Car on donne aux yeux le nom de lumière, et toutefois, que la lumière extérieure vienne à manquer, fussent-ils sains et ouverts, ils demeureront dans les ténèbres. Donc nous faisons la guerre aux princes de ces ténèbres, c’est-à-dire aux princes des infidèles, au diable et à ses anges, qui dirigent ce glaive dont le diable frappe les fidèles. Mais de même qu’une fois que Goliath est renversé, on lui prend son glaive pour lui en couper la tête[6] ; de même quand les fidèles embrassent la foi, on leur dit : « Vous étiez autrefois ténèbres, et maintenant vous êtes lumière dans le Seigneur[7] ». Vous avez combattu avec la main de Goliath, maintenant avec la main du Christ, coupez la tête à Goliath.

5. Voilà une guerre. Il en est une autre que chacun soutient au dedans de lui-même. Tout à l’heure on nous parlait de cette guerre dans l’épître de saint Paul : « La chair conspire contre l’esprit, et l’esprit contre la chair, au point que vous ne faites point ce que vous voulez[8] ». C’est là une guerre pénible, d’autant plus pénible qu’elle est intérieure. Quiconque triomphe dans cette guerre, surmonte des ennemis qu’il ne voit pas. Car le démon et ses anges n’attaquent chez toi que la chair qui domine. Comment pourrions-nous, en effet, vaincre des ennemis que nous ne voyons pas, sinon parce que nous ressentons intérieurement des mouvements charnels ? Combattre ces mouvements, c’est ruiner l’empire du diable. Dans l’amour de l’argent, c’est l’avarice qui domine, et comme l’avarice domine en toi, le diable te propose un gain au moyen de la fraude. Car souvent on ne saurait que par la fraude parvenir au gain. Il propose donc au-dehors à cette avarice, que tu n’as pas vaincue intérieurement, dont tu n’es pas maître, que tu n’as pas domptée ; ce perfide juge des combats

  1. Psa. 143,1
  2. 1Co. 12,8
  3. Eph. 6,12
  4. Psa. 17,29
  5. Id. 35,10
  6. 1Sa. 17,51
  7. Eph. 5,8
  8. Gal. 5,17