Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/260

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en être précipité bientôt, et tu oses bien juger un homme dont tu ignores la cause ? Traiter ainsi un seul homme, c’est injustice, et tu te croiras juste en traitant de la sorte le monde entier ? Et qui donc, mes frères bien-aimés, qui donc endure l’injustice, sinon l’Église catholique qui souffre tous ces maux ? Elle gémit au milieu de tant de scandales des hérétiques, elle voit les artifices, les insinuations perfides arracher les faibles de son giron ; elle voit les petits enfants que l’on traîne je ne sais par quels détours, comme par autant de cavernes détestables, et que l’on rebaptise, pour anéantir en eux Jésus-Christ, pour tuer en eux, non plus cette chair mortelle qui en fait des hommes, mais ce qui doit les faire vivre éternellement. On fait dire à un homme : Je ne suis point chrétien, et l’on appelle cela juste. Tu te présenteras à l’évêque, lui dit-on, garde-toi de lui dire que tu es chrétien. Te dire chrétien, c’est t’exposer à n’en rien recevoir ; dis que tu ne l’es pas, et tu recevras. Quel est cet avis, ô chrétien ? Que nous enseignes-tu ? Tu souffres persécution, j’en conviens ; mais n’es-tu pas plus réellement un persécuteur ? Quand les empereurs persécutaient les chrétiens, ils les contraignaient par la menace, comme toi par la persuasion. Tu fais dire à un chrétien qu’il ne l’est pas, obtenant ainsi par la persuasion ce que les bourreaux n’obtenaient point par la mort. Tu laisses vivre un homme qui nie être chrétien. Il est renégat, et il vit ? Non, il ne vit plus. C’est un cadavre qui te répond. Frappé par le glaive du persécuteur, le martyr est tombé, mais il vit ; celui à qui tu parles est debout, mais il est tombé. Souffrir pour de tels crimes, est-ce donc une injustice ? Point d’illusion ; si tes actes sont injustes, c’est justement que tu souffres. À qui donc fait justice « Celui qui garde la vérité éternellement ? » À ceux qui subissent l’injustice.
17. Viens donc, et avec tes raisonnements si sages, si ingénieux, si subtils, viens nous dire que c’est là une véritable nourriture, dis-nous : Un affamé peut-il en nourrir un autre, c’est-à-dire un pécheur donner la sainteté ? Un homme qui meurt de faim peut-il donner à manger ? un malade peut-il guérir ? un homme garrotté en délier un autre ? Grandes et subtiles raisons, dont on veut séduire les impies ! Que notre psaume leur ferme la bouche : « Dieu qui donne la nourriture à ceux qui ont faim ». Je n’attends rien de toi, « c’est Dieu qui donne la nourriture aux affamés ». À quels affamés ? à tous. Qu’est-ce à dire, à tous ? C’est-à-dire qu’il donne la nourriture à tous les animaux, à tous les hommes, et il ne réserverait aucune nourriture à ses bien-aimés ? S’ils ont une autre faim, ils ont aussi une autre nourriture. Cherchons d’abord de quoi ils ont faim, et nous verrons ensuite quelle est leur nourriture. « Bienheureux ceux qui ont faim et soit de la justice, parce qu’ils seront rassasiés[1] ». Nous devons avoir faim de Dieu. Présentons-nous devant sa porte, en sa présence, prions-le comme des mendiants ; « c’est lui qui donne la nourriture à ceux qui ont faim ». Pourquoi, hérétique, le vanter de délier, de relever, d’éclairer ? Diras-tu que tu es délivré, que tu es debout, que tu es lumière ? loin de là. Écoute ce qui vient d’être dit : « Ne mettez point votre confiance dans les princes, dans les fils des hommes, en qui n’est point le salut ». Ils ne donnent point le salut. Arrière donc tous les hérétiques. « C’est le Seigneur qui délie les captifs, le Seigneur qui relève ceux qui sont tombés, le Seigneur qui donne la sagesse aux aveugles[2] », c’est-à-dire qu’il rend sages ceux qui sont aveugles. Cette pensée nous explique parfaitement les précédentes ; cette parole : « Il délie ceux que l’on enchaîne », aurait pu nous faire croire qu’il s’agit ici de ces serviteurs qu’un maître a mis aux fers pour quelque faute ; et celle-ci : « Il relève ceux qui tombent », reporte notre pensée sur l’homme qui trébuche et tombe, ou que son cheval renverse. Il est d’autres chutes, comme il est d’autres chaînes, comme il est d’autres ténèbres et une autre lumière. Le Prophète nous dit que le Seigneur « donne la sagesse aux aveugles », et non qu’il éclaire les aveugles, de peur qu’on ne le comprenne à la lettre, comme on le fait de cet aveugle à qui le Seigneur ouvrit les yeux et qu’il sauva, en faisant de la boue avec sa salive[3]. Afin que nous n’attendions aucune de ces faveurs temporelles, le Prophète nous parle de cette lumière de la sagesse qui éclaire les aveugles. Les captifs donc sont déliés, les hommes tombés sont relevés, dans le même sens que les aveugles arrivent à la lumière de la sagesse. D’où vient que nous sommes enchaînés ? Quelle

  1. Mt. 5,6
  2. Ps. 145,8
  3. Jn. 9,6-7