Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/617

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Dieu vous reproche-t-il sans cesse d’avoir été délivrés par lui de la maison de servitude[1] ? Et si vos pères ont été esclaves, vous qui parlez, n’avez-vous jamais ressenti le poids de l’esclavage ? Pourquoi payiez-vous dès lors un tribut aux Romains ? N’est-ce pas en raison de ce fait que vous tendiez à la Vérité même un piège où vous désiriez la faire tombe : ? Ne disiez-vous pas au Christ : « Est-il permis de payer le tribut à César ? » S’il avait répondu : Oui, c’est permis, vouas auriez mis la main sur lui, comme s’il avait exprimé une pensée contraire à la liberté de la race d’Abraham. Si, par contre, il avait dit : Non, cela n’est pas permis, vous l’auriez accusé au tribunal des rois de la terre, comme empêchant de leur payer les impôts. Vous lui avez montré une pièce de monnaie, et par là même il vous a, comme vous le méritiez, réduits au silence, et, pris dans vos propres filets, vous vous êtes vus obligés de répondre vous-mêmes à votre question. Vous avez donc avoué que cette pièce de monnaie portait l’effigie de César : aussi, le Sauveur vous a-t-il dit : « Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu[2] ». La raison de ces paroles est que, si César a droit de réclamer des pièces de monnaie marquées à son effigie, Dieu réclame aussi la possession de l’homme, sur qui il a gravé son image. Voilà donc ce que le Christ a répondu aux Juifs. Mes frères, je me sens ému, en considérant le vain orgueil des hommes, et en voyant que les Juifs ont soutenu une fausseté, puisqu’ils ont prétendu que jamais ils n’avaient perdu la liberté, entendue même dans le sens temporel : « Jamais nous n’avons été les esclaves de personne ».
3. Écoutons de préférence et avec plus d’attention la réponse du Sauveur, afin de ne point mériter nous-mêmes le titre d’esclaves. Jésus leur répondit : « En vérité, en vérité, je vous le dis ; celui qui commet le péché, est esclave du péché ». Oui, il est esclave. Si seulement il était l’esclave d’un homme, au lieu d’être l’esclave du péché ! Qui est-ce qui ne tremblerait pas, à entendre de semblables paroles ? Daigne le Seigneur notre Dieu nous taire la grâce, à vous et à moi, de bien saisir ses paroles ; daigne le Sauveur m’accorder la faveur de vous parler bien, et de la liberté que nous devons conquérir, et de la servitude qu’il nous faut éviter. « En vérité, en vérité, je vous le dis ». La Vérité parle : que signifient dans sa bouche ces paroles : « En vérité, en vérité, je vous le dis ? » La manière dont il s’exprime est vraiment à considérer : s’il est permis de le dire, ces paroles sont, en un sens, un jurement. « En vérité, en vérité, je vous le dis ». « En vérité », signifie, d’après l’interprétation commune c’est vrai. Néanmoins, quoiqu’on puisse le dire, on ne l’a jamais interprété par ces mots : « Je dis la vérité ». Ni l’interprète grec, ni l’interprète latin n’a osé le faire ; car le mot : « En vérité », n’est pas plus grec que latin ; il est hébreu. On ne l’a donc pas expliqué autrement que nous l’avons dit, et il reste comme le signe d’une chose secrète : on n’a pas voulu en nier le sens ; on n’a prétendu que le conserver respectable, en ne disant pas toute sa valeur. Et ce n’est pas une fois, c’est deux fois que le Seigneur a prononcé ce mot : « En vérité, en vérité, je vous le dis ». En vous le disant deux fois, il a voulu attirer sur lui toute votre attention.
4. À quoi la Vérité veut-elle nous rendre attentifs ? Je vous dis vrai, je vous dis vrai, nous dit-elle. Il est évident que, quand même elle ne nous dirait pas : Je vous dis vrai, elle ne pourrait mentir ; ce serait impossible. Pourtant, elle veut fixer notre attention et nous persuader : nous dormons en quelque sorte, et elle veut nous éveiller ; elle nous excite à l’écouter ; elle ne prétend pas que nous fassions peu de cas de ses paroles. Que nous dit-elle donc ? « En vérité, en vérité, je vous le dis : quiconque commet le péché est esclave du péché ». O la misérable servitude ! Le plus souvent, quand les hommes ont de méchants maîtres, ils cherchent à se vendre : non qu’ils ne veuillent avoir aucun supérieur, mais parce qu’ils désirent en changer. Mais l’esclave du péché, quelle ressource a-t-il à sa disposition ? Qui peut-il appeler à son secours ? Devant qui porter ses plaintes ? À quel maître se vendre ? Parfois, l’esclave d’un homme, fatigué des exigences exorbitantes de son maître, trouve le repos dans la fuite. Mais où peut fuir l’esclave du péché ? Partout – où il dirige sa course, il se trouve avec lui. Une conscience mauvaise n’échappe jamais à elle-même, elle ne sait en quel lieu secret se retirer, car elle se suit elle-même, elle est incapable de se séparer d’elle-même ;

  1. Ex. 13, 3 ; Deut. 5, 6, et suiv.
  2. Mt. 22, 15-21