Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/705

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troublé et par l’amour et par la crainte, mais craignant encore plus de se voir enlever Jésus-Christ que de le voir s’abaisser à ses pieds, lui dit : « Seigneur, non seulement les pieds, mais aussi les mains et la tête ». Après une telle menace, non seulement je ne refuse pas de vous donner à laver mes membres les plus bas, mais j’abaisse devant vous les plus élevés pour que vous les purifiiez. Il n’y a aucune partie de mon corps que je ne vous laisse laver, plutôt que de m’exposer à n’avoir point de part avec vous.
3. « Jésus lui dit : Celui qui est lavé, n’a besoin que de se laver les pieds, et il est pur tout entier ». Ici peut-être quelqu’un va s’émouvoir et s’écrier : Mais s’il est pur tout entier, à quoi bon lui laver les pieds ? Le Seigneur, assurément, savait ce qu’il voulait dire, quoique notre faiblesse ne puisse en pénétrer le secret. Cependant, autant que me le permettra ce qu’il a plu au Seigneur de m’apprendre de sa loi, selon mes forces, et selon mes facultés, j’essaierai, avec le secours de Dieu, de répondre à cette profonde question. D’abord ces deux expressions ne se contredisent pas, je vous le montrerai aisément. En effet, quelle règle serait blessée, si l’on disait : Il est pur tout entier, hors les pieds ? il serait sans doute plus conforme à l’élégance de dire : Il est pur tout entier, si ce n’est les pieds : l’un vaut l’autre. Le Seigneur dit donc : Il n’a besoin que de se laver les pieds ; « car il est pur a tout entier ». Tout entier, excepté les pieds, ou bien, si ce n’est les pieds, qu’il a besoin de laver.
4. Mais qu’est-ce que tout cela ? À quoi bon toutes ces recherches ? Qu’est-ce que cela ? Le Seigneur parle, la Vérité nous dit que celui-là même qui est pur a besoin de laver ses pieds. À votre avis, quel sens attacher à ces paroles ? Le voici : bien que l’homme soit lavé tout entier dans le baptême, et ici nous n’exceptons pas même ses pieds, et nous parlons de sa personne tout entière ; cependant, quand ensuite il vit au milieu des affaires humaines, il est obligé de marcher sur la terre. Alors les affections terrestres sans lesquelles il est impossible de vivre en cette vie mortelle sont comme les pieds par lesquels les choses humaines entrent en contact avec nous, et elles nous touchent ; de telle sorte que si nous disons n’avoir pas de péché, nous nous trompons nous-mêmes, et la vérité n’est point en nous [1]. Chaque jour celui qui intercède pour nous nous lave les pieds [2] ; et chaque jour nous avouons que nous avons besoin de nous laver les pieds, c’est-à-dire de redresser même nos démarches spirituelles, puisque dans l’oraison dominicale nous disons : « Pardonnez-nous nos offenses, comme nous aussi nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés [3] ». En effet si, comme il est écrit, « nous confessons nos péchés », assurément celui qui a lavé les pieds de ses disciples « est fidèle et juste, il nous pardonnera nos péchés et nous purifiera de toutes nos iniquités[4] ». C’est-à-dire, il lavera jusqu’aux pieds avec lesquels nous avançons dans le chemin de la vie.
5. Ainsi l’Église que Jésus-Christ a purifiée dans le baptême de l’eau par sa parole est sans tache et sans ride [5], non seulement dans ceux qui sortent de cette vie immédiatement après le baptême, et ne touchent point la terre qui pourrait souiller leurs pieds ; mais encore dans ceux à qui Dieu a fait la grâce de ne sortir de cette vie qu’après avoir lavé leurs pieds. Quoiqu’elle soit pure aussi dans ceux de ses membres qui demeurent ici-bas, puisqu’ils vivent dans la justice, ils ont cependant besoin de laver leurs pieds, parce qu’ils ne sont pas absolument sans péché. C’est pourquoi elle dit dans le Cantique des cantiques : « J’ai lavé mes pieds, comment les souiller encore[6] ? » C’est ce qu’elle dit lorsqu’elle est forcée de venir à Jésus-Christ et de fouler la terre pour arriver jusqu’à lui. Mais voici une autre difficulté. Jésus-Christ n’est-il point en haut ? n’est-il pas monté au ciel, et ne s’est-il pas assis à la droite du Père ? L’Apôtre ne nous crie-t-il pas : « Si donc vous êtes ressuscités avec Jésus-Christ, recherchez les choses du ciel où Jésus-Christ est assis à la droite de Dieu, cherchez ce qui est en haut, non ce qui est sur la terre[7]. ? » Comment donc, pour aller à Jésus-Christ, sommes-nous forcés de fouler la terre, puisqu’au contraire nous devons élever nos cœurs en haut, afin de pouvoir être avec lui ? Vous voyez, mes frères, que le peu de temps qui nous reste aujourd’hui ne me permet pas de traiter cette question. Si, par hasard, vous ne voyez guère combien elle a besoin d’être discutée à fond, moi, je ne le vois que trop ; je vous demande

  1. Jn. 1, 8
  2. Rom. 8, 34
  3. Mt. 6, 12
  4. 1 Jn. 1, 9
  5. Eph. 5, 26-27
  6. Cant. 5, 3
  7. Col. 3, 1, 2