Aller au contenu

Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XI.djvu/643

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

avoir franchi ensuite l’or et l’avarice comme deux degrés d’un même piédestal, il réussit à se dresser sur l’édifice de la richesse, et de là, s’élançant sur l’arbre du pardon, il y demeure suspendu comme un fruit de miséricorde ; ainsi élevé de corps, mais profondément humilié d’esprit et de cœur, il pourra apercevoir et même contempler le dispensateur de l’indulgence. « Il monta sur un sycomore ». Adam avait emprunté à un arbre de quoi couvrir la nudité de son corps, Zachée est suspendu aux branches d’un autre arbre au moment où il est purifié des souillures de l’avarice. « Il monta sur un sycomore, afin de voir Jésus qui devait passer par là[1] ». Oui, Jésus devait véritablement passer par là ; car s’il était entré dans la voie des souffrances et des travaux auxquels tous les hommes sont assujettis sur cette terre, il y était entré, non pas pour y demeurer, mais seulement pour y passer.

3. « Et lorsqu’il fut arrivé en cet endroit, Jésus levant les yeux l’aperçut[2]». Est-ce donc que le Christ ne l’aurait point vu, s’il n’eût tourné les yeux de ce côté, lui qui, étant absent et éloigné à une grande distance, vit Nathanaël sous un arbre de même espèce ? Gardons-nous de le croire ; cette manière de parler signifie que le Sauveur aperçut Zachée pour lui accorder son pardon, qu’il le vit pour lui conférer la grâce, qu’il fixa sur lui son regard pour lui donner la vie, qu’il le contempla pour lui procurer le bienfait du salut. Dieu se plaît, pour ainsi dire, à considérer cet homme qui n’a jamais cessé d’être présent à ses regards et à sa pensée, et il le considère d’une manière d’autant plus attentive, qu’il veut lui procurer une gloire plus grande. « Il l’aperçut et lui dit : Zachée, descends en toute hâte, car il faut qu’aujourd’hui je loge dans ta maison[3] ». Si Zachée a fait un acte si louable en montant, pourquoi le Sauveur lui ordonne-t-il maintenant de descendre ? L’Évangéliste a dit tout à l’heure que « courant au-devant, il monta sur un arbre[4] » ; le serviteur courait en avant dans la même voie que devait suivre le Seigneur, Zachée montait sur un arbre avant que son maître montât sur la croix ; c’est pour cela qu’il lui fut dit : « Descends en toute hâte » ; en d’autres termes : Hâte-toi de descendre de l’arbre mystique et n’y monte pas avant le Seigneur, si tu veux y monter après que le Seigneur aura souffert le supplice de la croix. « Quiconque », dit le Sauveur en un autre endroit, « n’aura point porté sa croix et ne m’aura point suivi…[5] ». Il ne dit point : Quiconque ne m’aura point précédé. Descends donc et viens déposer à mes pieds le fardeau de tes fraudes, ces trésors qui sont comme un poids qui t’écrase, parce qu’ils sont les fruits maudits de l’usure et de ton insatiable cupidité ; abjure ce titre de chef de Publicains et cette primauté dans l’exercice des plus cruelles exactions ; revêts ensuite la robe de la pauvreté, fais-toi humble disciple de la miséricorde, livre-toi aux exercices de la piété et de la mortification, pratique toutes les vertus avec une ardeur qui aille toujours croissant, applique-toi à la contemplation des grandeurs de la Divinité, supporte avec résignation toutes les épreuves de cette vie, que chacun de tes jours soit un acte de préparation à la mort, et quand tu auras ainsi atteint le sommet de la perfection, tu pourras monter au sommet de l’arbre de la vie. « Descends, car il faut qu’aujourd’hui je loge dans ta maison[6] ». Lorsque Pierre eut dit au Seigneur : « Vous « ne me laverez point les pieds[7] », le Seigneur lui répondit : « Laisse-moi faire, c’est ainsi qu’il faut…[8] » ; aujourd’hui le Sauveur dit de même : « Il faut que je loge dans ta maison ». Il faut, car celui dans la maison de qui le Christ ne sera point entré, celui-là ne participera point à la passion divine ; et celui à la table de qui le Christ ne se sera point assis, ne sera point admis à la table céleste,

4. Etant donc descendu, il reçut Celui qui venait pour le recevoir lui-même, il nourrit Celui qui venait pour être son pasteur ; par cet acte d’hospitalité généreuse, il inclina le cœur de son Juge à se montrer indulgent, malgré l’énormité de ses crimes ; par suite de la nourriture et du breuvage qu’il lui offrit, ce Juge devint à la fois son débiteur et son protecteur ; et ainsi ce publicain ne perdit pas réellement les richesses qu’il avait acquises par des voies injustes, il les échangea seulement contre des biens d’une valeur infiniment plus grande. « Et tous ceux qui furent témoins de cela murmuraient de ce que le « Seigneur était allé loger chez un pécheur[9] ».

  1. Luc. 19, 4
  2. Id
  3. Id. 5
  4. Id
  5. Mat. 10, 38
  6. Luc. 19, 5
  7. Jn. 13, 8
  8. Ibid
  9. Id. 7