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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XI.djvu/644

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Celui même qui est sans péché et sans souillure se rend indigne de pardon par le fait seul qu’il demande pourquoi Dieu est venu vers les pécheurs. Ce ne sont point les péchés, mais l’homme que le Seigneur recherche alors ; il désire punir le péché qui est l’œuvre de l’homme, et sauver l’homme qui est son œuvre à lui. Écoutez le Prophète : « Détournez, Seigneur, détournez vos regards de mes péchés[1] », c’est-à-dire, de mes œuvres. Parlant ailleurs de lui-même, il ajoute « Ne détournez point les yeux avec mépris de l’ouvrage de vos mains[2] ». Quand le juge veut pardonner, il considère l’homme, non point les péchés de l’homme ; quand un père veut user de miséricorde, il oublie les fautes de son fils pour se souvenir seulement de l’amour que ce même fils lui a parfois témoigné ; ainsi Dieu oublie les œuvres de l’homme, pour se souvenir seulement que l’homme est son propre ouvrage. O homme, quel est donc ici l’objet de ta censure, de tes murmures ? Est-ce l’entrée du Christ dans la maison d’un pécheur ? Mais cette démarche du Sauveur vous montre quelle est la voie du salut, elle vous offre un exemple du pardon que Dieu accorde aux pécheurs, elle vous apprend à espérer vous-mêmes en cette divine miséricorde ; tels sont, dis-je, les fruits de salut que vous devez recueillir de cette démarche, bien loin d’y trouver seulement une occasion de blasphémer. Où ira un médecin, sinon près du malade ? « Ce ne sont point ceux qui se portent bien, mais ceux qui sont malades, qui ont besoin du médecin[3] ». Où court le pasteur empressé et hors d’haleine, sinon après la brebis perdue ? A quel moment voit-on le roi dans les rangs ennemis, sinon lorsqu’il veut délivrer un captif ? Et celui quia perdu une perle précieuse craint-il de pénétrer dans les lieux les plus infects, a-t-il horreur de la rechercher même dans la fange ? Ou bien, qu’est-ce donc qui pourrait rendre une mère insensible à la perte de son fils ? Dieu a créé l’homme à son image et à sa ressemblance, et on lui reproche de rechercher l’homme jusque dans la fange du péché ! Que ferez-vous donc quand vous le verrez, à cause de ce même homme, descendre jusque dans les ténèbres du Tartare ?

5. Voyez cependant quels avantages procure à ce pécheur l’entrée de Jésus dans sa maison. « Zachée se tenant debout », dit le texte sacré[4]. Voyez-vous comme il se tient droit et ferme, cet homme qui tout à l’heure était gisant ? Le vice nous renverse à terre et nous tient gisants et opprimés, comme un poids qui nous écrase ; mais nous nous relevons dès que notre volonté se détermine résolument à pratiquer le bien. « Zachée se tenant debout, dit : Seigneur, je vais donner la moitié de mes biens aux pauvres[5] ». Celui-là croit devoir vivre encore après sa mort, qui envoie pour ainsi dire devant lui, dans le séjour de la vie future, la moitié de ses biens. Sans doute celui-là est parfait, qui envoie d’avance tout ce qu’il possède là où il doit vivre éternellement. Mais on n’est pas pour cela étranger à la vertu, on ne laisse pas d’avoir part à la sagesse et à la foi, quand on donne à Dieu la moitié de ses biens ; seulement tout ce qui ne lui est pas donné demeure perdu pour l’homme. Et en vérité, mes frères, de même que celui-là se croit destiné à vivre éternellement, qui envoie son bien devant lui dans le séjour de l’éternité, de même aussi celui-là ne partage point cette croyance, qui ne se prépare rien dont il puisse jouir dans ce séjour. Car si nous nous résignons si difficilement à subir la pauvreté temporelle, qui donc supportera d’être mendiant pendant toute l’éternité ? Quel soldat n’envoie pas dans sa patrie tout ce qu’il acquiert au prix de ses sueurs et de son sang, afin de trouver dans les jouissances de sa vieillesse une compensation aux fatigues de sa jeunesse ? Et le chrétien appelé à combattre durant tout le temps de son existence ici-bas, comment ne songerait-il pas, lui aussi, à se préparer, par des offrandes volontaires, une compensation éternelle aux épreuves de sa vie terrestre ? Quant à la manière dont le chrétien doit agir en cette circonstance, Zachée nous l’apprend à la fois par ses paroles et par son exemple : « Je donne la moitié de mes biens aux pauvres, et si j’ai acquis quelque chose injustement, je rends quatre fois autant[6] ». Celui qui fait l’aumône avec le bien d’autrui, commet par cet acte de libéralité un nouveau larcin plus odieux encore que le premier ; bien loin que les gémissements de ses victimes soient apaisés par là, ils n’en deviennent que plus éclatants et plus amers. Pourquoi ne le dirais-je pas ? Quand

  1. Psa. 50, 2
  2. Id. 137, 8
  3. Mat. 9, 12
  4. Luc. 19, 8
  5. Id
  6. Id. 8