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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XI.djvu/645

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on offre à Dieu le fruit de la rapine, bien loin que la souillure de l’âme soit effacée, on ne fait que renouveler et rendre plus vivant le souvenir de ses crimes ; car, dans une telle offrande, Dieu ne voit que la dépouille de ses pauvres, et il n’a aucun égard pour le sentiment de compassion auquel on obéit. C’est en vain que cet homme implore la miséricorde divine, si ses supplications ont été précédées de larmes et de justes prières adressées à Dieu contre lui par un autre homme. La parole de Dieu est formelle : « Si tu as dérobé la tunique de ton frère, rends-la-lui avant le coucher du soleil, de peur qu’il ne crie vers moi, et que je ne l’exauce dans ma miséricorde ». « Avant le coucher du soleil[1] » ; de même que la lanterne du voleur sert à le faire reconnaître, de même aussi le soleil est comme un témoin qui dépose contre tout homme qui commet un larcin.

6. Si donc nous voulons offrir nos biens à Dieu, rendons d’abord ce qui appartient à autrui ; si, dis-je, nous voulons jouir auprès de Dieu de ce qui nous appartient réellement, et si nous voulons entendre, nous aussi, des paroles semblables à celles que Zachée entendit : « Celui-ci même est un enfant d’Abraham[2] ». Le riche inhumain, quoique né du sang d’Abraham, devint le fils de l’enfer ; Zachée, d’abord fils de la rapine et du vol, mérita, en donnant son propre bien et en restituant le bien d’autrui, d’être adopté et mis au rang des enfants d’Abraham. N’allez pas croire cependant que, parce qu’il offrit seulement la moitié de son bien, il n’ait pas atteint le sommet de la perfection ; car en réalité il se donna au Seigneur, lui et tous ses biens, de telle sorte que, en retour du repas libéralement servi par lui, il mérita d’être appelé de sa table de publicain à la table du corps du Sauveur et, après s’être dépouillé des richesses trompeuses du siècle, il trouva dans la pauvreté embrassée volontairement pour l’amour du Christ les véritables richesses du ciel. Puissions-nous les obtenir nous-mêmes de la miséricorde de Celui qui vit et règne dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

QUATORZIÈME SERMON. SUR CES PAROLES DE L’ÉVANGILE SELON SAINT JEAN (VI, 5-14). « JÉSUS AYANT DONC LEVÉ LES YEUX ET VOYANT QU’UNE GRANDE FOULE ÉTAIT VENUE A LUI, DIT A PHILIPPE, ETC. » MULTIPLICATION DES PAINS.

ANALYSE.—1. Les yeux du Seigneur. —2. Différentes sortes d’interrogations et de tentations.—3. Faiblesse de la foi des Juifs. —4. Les cinq pains représentent les cinq livres de Moise, les deux poissons représentent les Prophètes et les psaumes, ou l’ordre royal et l’ordre sacerdotal. —5. Qu’est-ce que s’asseoir par rangs tic cinquante et de cent ? —6. Qu’est-ce que s’asseoir sur l’herbe ?— 7. Soyons hommes par le courage et la force d’âme. —8. Qu’est-ce que rompre le pain et l’apporter ?—9. C’est aux évêques et aux prêtres d’enseigner et de défendre les maximes de l’Écriture qui sont obscures et au-dessus de l’intelligence du peuple. —10. Les Apôtres figurés par les douze corbeilles. —11. La sagesse charnelle reconnaît le Christ comme prophète, mais non comme Fils de Dieu.

1. Toutes les fois, que dans l’Écriture, nous voyons le Seigneur nourrissant des foules nombreuses avec quelques pains, nous devons être pénétrés de respect bien plus encore que saisis d’admiration. Il n’est pas étonnant qu’il ait pu, mais ce qui doit nous pénétrer du respect le plus profond, c’est qu’il ait voulu le faire. Que celui qui a créé toutes choses de rien nourrisse ensuite des foules nombreuses avec quelques poissons, il n’y a pas lieu pour nous d’en être surpris. Mais considérons que, d’après le texte même de l’Évangile,

  1. Exo. 22, 26-27
  2. Luc. 19, 9