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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XI.djvu/646

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avant de nourrir ces foules, il leva d’abord les yeux pour les contempler. Les yeux du Seigneur ont en effet, dans le langage des Écritures, une double signification. Tantôt ils désignent les dons du Saint-Esprit, tantôt le regard même de la divine miséricorde. Par exemple, ils désignent les dons du Saint – Esprit dans ce passage de Zacharie : « Il y a sept yeux sur une seule pierre[1] ». Dans l’Apocalypse de saint Jean, au contraire, lorsqu’il est dit : « Je vis un agneau immolé ayant sept cornes, et sept yeux qui sont les sept esprits de Dieu envoyés par toute la terre[2] », ils désignent la divine miséricorde, comme lorsqu’il est dit dans un des psaumes : « Les yeux du Seigneur sont sur les justes[3] » ; et dans un autre : « Le Seigneur a regardé du haut des cieux, et il a vu tous les enfants des hommes[4] ». Sans doute tout est nu et à découvert devant ses yeux, mais on dit qu’il nous voit, soit lorsqu’il nous dispense les trésors de sa grâce, soit lorsqu’il nous délivre du poids des tribulations, comme lorsqu’il dit lui-même à Moïse : « J’ai vu de mes yeux « l’affliction de mon peuple qui est en Égypte, « j’ai entendu ses gémissements et je suis descendu pour le délivrer[5]». Dans cet endroit donc de l’Évangile, l’élévation des regards du Seigneur est le symbole du regard même de sa miséricorde : il contemple d’abord d’un regard plein de compassion les multitudes qu’il nourrira tout à l’heure. C’est un regard de ce genre aussi que le Seigneur jeta sur Pierre quand celui-ci « sortit pour pleurer amèrement[6] ».

2. Jésus dit à Philippe : « Où pourrons-nous acheter du pain pour nourrir ce monde[7] ? » Le Seigneur interroge son disciple, non pas pour s’éclairer de ses conseils, mais bien pour l’instruire. Afin de comprendre ceci plus facilement, considérons de combien de manières une interrogation peut être faite. J’en vois trois : on interroge ou bien dans l’intention de découvrir de quoi exercer sa critique, ou bien parce qu’on souhaite d’apprendre, ou enfin parce qu’on désire enseigner soi-même quelque chose. Les Scribes et les Pharisiens interrogèrent plusieurs fois le Seigneur dans l’intention de trouver de quoi exercer leur critique, par exemple, au sujet de la femme surprise en adultère, au sujet du denier et dans d’autres circonstances. Les Apôtres, au contraire, l’interrogeaient dans l’intention de s’instruire, lorsqu’ils lui dirent : « Seigneur, quand ces choses arriveront-elles, ou bien quel sera le signe de votre avènement ?[8] » et lorsqu’ils lui adressaient d’autres questions semblables. Enfin, l’Ange de l’Apocalypse interrogeait l’Apôtre bien-aimé dans l’intention de l’instruire, quand il lui disait « Ceux-ci qui sont revêtus de robes blanches, qui sont-ils et d’où viennent-ils ?[9] » Saint Jean ayant répondu : « Mon Seigneur, vous le savez ! », l’Ange lui apprit aussitôt ce qui faisait l’objet même de sa demande : « Ils sont venus du milieu des grandes tribulations, ils ont lavé leurs robes et les ont blanchies dans le sang de l’Agneau[10] ». Le Seigneur donc, lui aussi, interroge Philippe son disciple, non pas pour surprendre dans sa réponse de quoi lui faire des reproches ou pour apprendre de lui quelque chose, mais dans le but de l’instruire. C’est ce que l’Évangéliste a pris soin de nous bien faire entendre en ajoutant aussitôt : « Or, Jésus lui disait cela pour l’éprouver ; car lui-même savait parfaitement ce qu’il allait faire[11] ». Mais une difficulté qui n’est pas sans importance naît de ces paroles mêmes : « Jésus disait cela pour le tenter » ; surtout si l’on se reporte à ces autres paroles de l’apôtre saint Jacques : « Que nul, lorsqu’il est tenté, ne dise que c’est Dieu qui le tente ; car Dieu ne tente point pour le mal, ou plutôt Dieu ne tente personne[12] ». Si Dieu ne tente réellement personne, comment l’Évangéliste a-t-il pu écrire : « Jésus disait cela pour le tenter ? n Nous pourrions répondre en deux mots qu’il faut bien distinguer entre la tentation par laquelle le démon cherche à perdre l’homme et celle par laquelle Dieu veut seulement éprouver ce même homme. Mais afin de résoudre cette difficulté d’une manière explicite et tout à fait péremptoire, examinons de plus près les différentes sortes de tentations et leur nature intime. Il y a d’abord la tentation par laquelle le démon tente l’homme pour le perdre ; c’est par le désir d’être délivré de cette tentation que nous disons chaque jour dans l’oraison : « Ne nous induisez point en tentation[13] ». Il est ensuite une autre

  1. Zac. 3, 9
  2. Apo. 5, 6
  3. Psa. 33, 16
  4. Id. 32, 13
  5. Exo. 3, 7,8
  6. Mat. 26, 75
  7. Jn. 6, 5
  8. Mat. 24, 3
  9. Apo. 7, 13
  10. Id. 14
  11. Jn. 6, 6
  12. Jac. 1, 13
  13. Mat. 6, 13