Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XII.djvu/210

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pas la vérité, il n’est pas vrai ; et s’il n’est pas vrai, ce n’est plus un bien. Or, comme il faut préférer l’âme au corps, il faut aussi préférer la vérité à l’âme ; il faut que l’âme tienne plus à la vérité qu’à son corps et plus qu’à elle-même. Elle sera en effet plus pure et plus chaste par la possession de ce qui est immuable, qu’en s’appuyant sur sa propre mobilité. Si Loth qui était juste au point de mériter d’avoir des anges pour hôtes, livra ses filles à l’infâme passion des habitants de Sodome, préférant voir le déshonneur tomber sur des femmes que sur des hommes ; combien plus de zèle, combien plus de fermeté doit-on mettre à maintenir la chasteté de l’âme dans la vérité, puisqu’il est bien plus conforme à la vérité de préférer l’âme au corps, qu’un corps d’homme à un corps de femme ?

CHAPITRE VIII. ON NE DOIT PAS MÊME MENTIR POUR PROCURER AUX AUTRES LA VIE ÉTERNELLE.

11. Si quelqu’un s’imagine qu’on peut mentir pour un autre, afin de lui sauver la vie, ou de lui épargner quelque blessure dans ses plus chères affections, et de le faire ainsi parvenir, au moyen de l’instruction, à la vie éternelle ; celui-là ne fait pas attention qu’il n’est pas de crime qu’on ne fût forcé de commettre dans les mêmes conditions, comme nous l’avons démontré plus haut, et, encore, que l’autorité de la doctrine elle-même serait ébranlée et sapée par la base, si ceux que nous cherchons à y conduire, venaient à se persuader, par l’effet de notre mensonge, qu’il est quelquefois permis de mentir. En effet, comme ta doctrine du salut se compose en partie de choses qu’il faut croire, en partie de choses qu’il faut comprendre, et qu’on ne peut parvenir à ce qu’il faut comprendre sans croire préalablement à ce qu’il faut croire ; comment ajouter foi à celui qui pense qu’on peut quelquefois mentir, comment ne pas craindre qu’il ne mente, précisément quand il commande de croire ? Comment saura-t-on s’il n’a pas, à ce moment, quelque prétendu motif de mentir officieusement, dans la pensée qu’un faux récit pourra effrayer quelqu’un, le préserver de l’entraînement de la passion, et s’il ne s’imagine pas pourvoir ainsi, même en mentant, à des intérêts spirituels ? Ce procédé une fois admis, une fois accepté, c’en est fait de tous les enseignements de la foi ; et sans la foi, il est impossible de parvenir à l’intelligence ; car c’est elle qui nourrit les petits enfants et les prépare à comprendre ; par conséquent, toute doctrine de vérité disparaît, pour faire place à la licence effrénée de l’erreur, dès qu’on ouvre, d’un côté ou de l’autre, la porte au mensonge même officieux. En effet, ou celui qui ment préfère à la vérité des avantages temporels, soit les siens propres, soit ceux d’autrui (et quel crime plus grand que celui-là ?) ; ou, en cherchant à attirer quelqu’un à la vérité à l’aide du mensonge, il ferme la porte à la Hérité elle-même : car, en voulant se rendre apte à instruire en mentant, il fait que son autorité est douteuse quand il proclame la vérité. Donc il ne faut pas croire aux gens de bien, ou il faut croire à ceux que nous savons obligés de mentir quelquefois, ou il ne faut pas croire que les gens de bien recourent quelquefois au mensonge. Dans le premier cas, il y a un danger mortel ; dans le second, il y a folie ; il ne nous reste donc qu’à croire que les gens de bien ne mentent jamais.

CHAPITRE IX. QUELQUES-UNS PENSENT QU’ON PEUT MENTIR POUR SE SOUSTRAIRE A UN ATTENTAT CONTRE LA PUDEUR. RÉFUTATION DE CETTE OPINION.

12. Bien que la question ait été examinée et examinée des deux côtés, il ne faut cependant pas se presser de donner la décision, mais prêter une oreille attentive à ceux qui prétendent qu’il n’est pas de mal qu’on ne doive commettre pour en éviter un plus grand, et que l’homme est responsable, non-seulement de ce qu’il fait, ruais de tout ce qu’il laisse faire avec son consentement. Si un chrétien a pu être autorisé à offrir de l’encens aux idoles, pour éviter un attentat à sa pudeur dont un persécuteur le menaçait en cas de refus, les partisans de cette opinion se croient en droit de demander pourquoi on n’éviterait pas ce même déshonneur au prix d’un mensonge ? Selon eux, le consentement qui ferait que l’on aimerait mieux subir cet outrage que d’offrir de l’encens aux idoles, ne serait pas chose passive, mais un acte ; et pour éviter cet acte, on a mieux aimé sacrifier aux idoles. Combien plus volontiers aurait-on menti, si un mensonge avait pu épargner un si affreux déshonneur à un corps sanctifié ?