Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XII.djvu/211

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13. Là-dessus, voici les points qui méritent d’être examinés : Un tel consentement peut-il être considéré comme un acte ? Y a-t-il consentement là où il n’y a pas approbation ? Est-ce approbation que de dire : Il vaut mieux subir ceci que de faire cela ? Est-ce bien faire de sacrifier aux idoles plutôt que de subir un attentat contre la pudeur ? Et, le cas étant donné, vaudrait-il mieux mentir que d’offrir de l’encens aux idoles ? Or, si un consentement de ce genre doit être tenu peur un acte, il faut appeler homicides et même, ce qui est plus grave encore, suicides, ceux qui ont mieux aimé être tués que de rendre un faux témoignage. En effet, à ce taux-là, pourquoi ne dirait-on pas qu’ils se sont donné la mort, puisqu’ils ont mieux aimé la recevoir que de faire ce qu’on exigeait d’eux ? Ou bien, si l’homicide paraît plus coupable que le suicide, que dire du cas où l’on proposerait au martyr de rendre un faux témoignage du Christ et d’immoler aux démons, avec menace, s’il refuse, de tuer sous ses yeux, non le premier venu, mais son père, son propre père, qui le supplie de ne pas lui donner la mort en persévérant dans sa résolution ? N’est-il pas évident que, s’il restait fidèle à rendre témoignage à la vérité, il ne serait point parricide, mais que ceux qui auraient tué son père mériteraient le nom d’homicides ? De même donc que ce martyr ne participerait en rien à ce crime odieux pour avoir mieux aimé voir son père, même coupable de sacrilège, son père dont l’âme va être entraînée aux supplices, mieux aimé, dis je, le voir tuer par d’autres, que d’outrager lui-même sa foi par un faux témoignage ; ainsi l’autre chrétien serait innocent de l’attentat commis sur lui, s’il refusait de faire le mal, quelles que pussent être les suites de sa résistance. Que disent, en effet, les persécuteurs de ce genre, sinon : Fais le mal pour nous empêcher de le faire ? Et quand cela serait vrai, nous ne devrions pas leur rendre de service en nous rendant nous-mêmes coupables. Mais comme ils font le mal, même quand ils ne tiennent pas ce langage, pourquoi nous le tiennent-ils ? Pourquoi ne se livrent-ils pas tout seuls au crime et à la honte ? Car on ne peut pas parler ici de consentement, puisque nous n’approuvons pas ce qu’ils font, que nous désirons qu’ils ne le fassent pas, que nous les en empêchons autant qu’il est en nous, non-seulement en ne participant point à leur action, mais en la repoussant et la condamnant de toutes nos forces.

14. Mais comment, dira-t-on, ce chrétien ne participe-t-il pas à une action qu’on ne commettrait pas, s’il en faisait une autre ? Alors nous sommes donc complices de l’effraction d’une porte, puisque le voleur ne la briserait pas si nous ne l’avions pas fermée ; nous sommes donc complices de l’homicide, s’il nous arrive de savoir qu’il aura lieu, puisque nous ne tuons pas d’avance les brigands pour les empêcher de le commettre ; ou encore, si un homme nous avoue qu’il est dans l’intention de commettre un parricide, nous le commettons donc avec lui, si, ne pouvant l’en détourner ni l’en empêcher par un autre moyen, nous ne le tuons pas, quand nous le pouvons, avant qu’il s’en rende coupable ? On pourra répéter exactement dans les mêmes termes Vous êtes son complice : car il n’eût pas fait ceci, si vous eussiez fait cela. Pour moi, je voudrais qu’aucune de ces fautes ne fût commise ; mais je ne puis éviter que celle qui dépend de ma volonté ; quant à celle d’un autre, si je ne puis l’empêcher autrement, je ne suis point obligé d’y mettre obstacle en faisant une mauvaise action. Ce n’est point approuver le mal, que de ne pas le commettre pour un autre. Celui qui n’approuve ni l’une ni l’autre faute, voudrait que ni l’une ni l’autre faute n’eût lieu ; seulement par le pouvoir qu’il en a, il ne commet point celle qui dépend de lui, et par la volonté seulement, il condamne celle qui dépend de la volonté d’un autre.

Si donc à cette proposition : Tu subiras tel tourment, situ n’offres de l’encens aux idoles, le martyr répondait : de neveux ni l’un ni l’autre, je déteste l’un et l’autre ; cette réponse ou toute autre de ce genre, fondée sur la vérité, ferait voir qu’il n’y a chez lui aucun consentement, aucune approbation ; et quelque traitement que lui infligeassent ses persécuteurs, il serait regardé comme victime et eux comme les seuls coupables, Quoi, dira-t-on, devrait-il se résigner à subir une infamie plutôt qu’à offrir de l’encens aux idoles ? Si tu demandes ce qu’il doit faire, je réponds : Ni l’un ni l’autre, car si je disais qu’il doit faire l’une de ces deux choses, j’approuverais cette chose, tandis que je les réprouve toutes les deux. Mais si on me demande laquelle de ces deux actions il doit éviter de préférence, dans le cas où il n’en pourrait éviter qu’une, je réponds : Il doit