Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XII.djvu/223

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dépouiller de ses biens, soit pour ne pas pécher, soit pour se soustraire aux plus grands inconvénients attachés à leur possession, non-seulement on ne pèche pas, mais on montre, dans le premier cas, un courage digne d’éloge, et dans le second, on reste innocent et on recueille un profit. Quant à tout ce qui tient à la pureté et à la religion, si quelqu’un cherche à nous en priver par la violence, il faut, si on nous pose cette condition et qu’on nous en laisse la faculté, nous y soustraire par des fautes moindres, pourvu toutefois qu’il n’en résulte aucun tort pour le prochain. Mais dans ce cas, la faute commise pour éviter un plus grand mal, n’est plus péché. Comme en matière d’intérêt, d’argent par exemple ou de tout autre bien temporel, on n’appelle plus perte ce que l’on sacrifie en vue d’un gain plus considérable ; ainsi, dans ce qui tient à la sainteté, on n’appelle plus péché ce que l’on fait pour éviter un plus grand péché. Ou encore, si l’on veut appeler perte ce qu’on sacrifie pour échapper à une perte plus grande ; qu’on appelle aussi péché ce que nous venons de dire, néanmoins que personne n’hésite à le faire pour éviter un plus grand mal, pas plus qu’on n’hésite à subir une perte moindre pour se garantir d’une plus grande.

CHAPITRE XIX. LA SAINTETÉ EXIGE LE MAINTIEN DE TROIS CHOSES LA PUDEUR DU CORPS, LA CHASTETÉ DE L’ÂME ET LA VÉRITÉ DE LA DOCTRINE.

40. Voilà les trois choses qu’il faut conserver pour être saint : la pudeur du corps, la chasteté de l’âme et la vérité de la doctrine. Personne ne peut perdre la pudeur du corps, sans la Permission et le consentement de l’âme. Car aucun attentat exercé contre notre corps par une force majeure ne peut être qualifié d’impudicité, tant que nous n’en accordons pas la permission et que nous la subissons malgré nous. Parfois il peut y avoir une raison de laisser faire, mais jamais de consentir : car consentir, c’est approuver et vouloir, tandis que l’on peut laisser faire malgré, soi et pour se soustraire à quelque, chose de plus coupable. Il est hors de doute que le consentement à une impudicité corporelle détruit aussi la chasteté de l’âme. En effet la chasteté de l’âme consiste dans la bonne volonté et l’amour sincère, qui ne se perd que quand nous aimons et convoitons ce que la vérité nous défend d’aimer et de convoiter. Il faut donc conserver le sincère amour de Dieu et du prochain, qui sanctifie la chasteté de l’âme, et faire tout notre possible et par des efforts et par d’humbles prières, pour que quand on porte violemment atteinte à la pudeur de notre corps, le sens intérieur de l’âme, lié aux émotions de la chair, n’éprouve aucune délectation, ou si cela ne se peut, que l’âme conserve sa chasteté en refusant tout consentement. Mais, avec la chasteté de l’âme, il faut conserver aussi la probité et la bienveillance, qui tiennent à l’amour du prochain, et la piété qui tient à l’amour de pieu. Par la probité, nous ne faisons de tort à personne ; par la bienveillance, nous rendons les services que nous pouvons rendre ; par la piété, nous honorons Dieu. Or le mensonge seul blesse la vérité de la doctrine, de la religion et de la piété : la vérité souveraine et substantielle, de qui cette doctrine dérive, étant hors de toute atteinte. Nous ne pourrons parvenir jusqu’à elle, nous y établir entièrement, nous y attacher solidement, que quand ce corps corruptible aura revêtu l’incorruptibilité, et ce corps mortel, l’immortalité. Mais ici-bas toute piété est un mouvement, une tendance vers ce but, et que cet élan a pour guide la doctrine qui nous fait connaître et goûter la vérité elle-même, au moyen de la parole humaine et des signes visibles des sacrements : voilà pourquoi il faut avant tout maintenir pure cette doctrine, en la préservant du mensonge qui peut la corrompre ; afin que si la chasteté de l’âme a souffert quelque brèche, il y ait de quoi la réparer. Car, l’autorité de la doctrine une fois détruite, la chasteté de l’âme ne saurait ni se maintenir ni se restaurer.

CHAPITRE XX. IL NE FAUT PAS MENTIR POUR SAUVER LA PUDEUR DU CORPS. D’OU VIENT LE MOT DE FOI. CHASTETÉ DE L’ÂME.

41. De tout cela résulte donc cette opinion, que, pour sauver la pudeur du corps, il faut proférer un mensonge qui ne blesse ni la doctrine de la piété, ni la piété elle-même, ni la probité, ni la bienveillance. Et si quelqu’un portait l’amour de la vérité, non pas seulement jusqu’à la contempler, mais jusqu’à dire toujours