Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XII.djvu/224

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le vrai en tout et partout, à ne jamais proférer de la bouche du corps que ce qu’il a conçu et vu dans son esprit, à préférer la beauté de la foi, toujours véridique, non-seulement à l’or, à l’argent, aux pierres précieuses, aux riches domaines, mais même à la vie du temps et à tous les biens du corps ; je ne sais si on pourrait raisonnablement l’accuser d’erreur. Et s’il avait raison de préférer ce bien à tous ses avantages temporels et de l’estimer à plus haut prix, il aurait également raison de le mettre au-dessus des biens temporels des autres hommes, de ceux qu’il doit sauver et aider par probité et par bienveillance. Car il aimerait la foi parfaite, non-seulement en croyant sincèrement à tout ce qui lui serait intimé par une autorité supérieure et digne de confiance, mais encore en énonçant fidèlement ce qu’il jugerait lui-même à propos de dire et dirait réellement. En effet, le mot latin fides, foi, vient de fio, parce que la chose qu’on dit se fait ; ce qui n’a évidemment pas lieu chez celui qui ment. Si la brèche est moins grande, quand le mensonge ne cause ni inconvénient, ni préjudice à personne, qu’il a même pour but de sauver la vie ou la pudeur du corps, c’est néanmoins une brèche, et une brèche faite à une chose qui doit se garder dans la chasteté et la sainteté de l’âme. Nous sommes donc forcés, non par l’opinion des hommes, qui est souvent erronée, mais par la vérité elle-même, cette puissance supérieure à tout et absolument invincible, de préférer la foi parfaite à la pudeur même du corps ; car la chasteté de l’âme est un amour bien réglé qui ne subordonne pas le plus au moins. Or tout ce qui tient au corps est moins que ce qui touche à l’âme. A coup sûr celui qui ment pour garantir la pudeur de son corps, voit, dans l’attentat qu’on médite contre lui, la passion d’un autre et non la sienne ; il prend cependant ses précautions pour ne point participer au crime en le permettant ? Or, où serait cette permission sinon dans l’âme. La pudeur du corps ne se perd donc que dans l’âme ; si l’âme ne donne ni consentement, ni permission ; à quelque attentat que se porte une passion étrangère, on ne saurait en aucune façon dire que la pudeur du corps a été atteinte. D’où il suit qu’il faut attacher beaucoup plus d’importance à conserver la chasteté de l’âme, puisqu’elle est la sauvegarde de là pudeur du corps. C’est pourquoi il faut, autant qu’il est en nous, les mettre l’une et l’autre à l’abri de toute atteinte, en établissant autour d’elles le rempart et la barrière des bonnes mœurs et d’une conduite sainte. Mais si l’on ne peut sauver l’une et l’autre, qui ne voit celle qu’il faut sacrifier de préférence quand on sait ce qui doit l’emporter, de l’âme sur le corps, ou du corps sur l’âme, de la chasteté de l’âme sur la pudeur du corps, ou de la pudeur du corps sur la chasteté de l’âme ; et ce qu’on doit le plutôt éviter, de permettre le péché d’un autre ou de commettre le péché soi-même ?

CHAPITRE XXI. CONCLUSION. IL FAUT S’INTERDIRE LES HUIT ESPÈCES DE MENSONGE ÉNUMÉRÉES PLUS HAUT. COMBIEN SONT AVEUGLES CEUX QUI AUTORISENT LE MENSONGE.

42. De toute cette discussion, il résulte que le sens de ces témoignages de l’Ecriture est qu’il ne faut jamais mentir, puisqu’on ne trouve dans la conduite et les actions des saints aucun exemple de mensonge qu’on puisse imiter, au moins dans les parties de l’Ecriture qui ne contiennent pas de sens figuré, comme par exemple les Actes des apôtres. Car les paroles du Seigneur mentionnées dans l’Évangile, et que les ignorants pourraient prendre pour des mensonges, sont des paroles figurées. Quant à ce que dit l’Apôtre : « Je me suis fait tout à tous pour les sauver tous », cela n’indique aucune disposition à mentir, mais un sentiment de compassion, une charité si grande qu’elle le faisait agir avec ceux qu’il voulait sauver comme s’il eût lui-même souffert du mal dont il désirait les guérir.

Il ne faut donc pas mentir dans l’enseignement de la vérité ; car c’est un grand crime, la première espèce de mensonge et la plus détestable. Il ne faut pas mentir de la seconde manière, parce qu’il ne faut faire de tort à personne ; ni de la troisième, parce qu’il ne faut pas rendre service à l’un au détriment de l’autre ; ni de la quatrième, parce que le plaisir de mentir est vicieux par lui-même ; ni de la cinquième, parce que, comme on ne doit pas même dire la vérité pour plaire aux hommes, encore bien moins doit-on proférer le mensonge qui est coupable par lui-même parce qu’il est mensonge ; ni de la sixième,