Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XII.djvu/325

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

que vous êtes dans cette maison de la discipline, rendez-vous compte à vous-même de la manière dont vous vous aimez. Que je vous demande si vous vous aimez, vous me répondez affirmativement. Et en effet, quelqu’un peut-il se haïr ? Vous me répondrez sans doute : quelqu’un peut-il se haïr ? Si vous vous aimez, vous n’aimez donc pas l’iniquité. Car si vous aimez l’iniquité, écoutez, non pas ma parole, mais celle du Psalmiste : « Celui qui aime l’iniquité hait son âme  ». Si donc vous aimez l’iniquité, écoutez la vérité, non pas la vérité qui vous flatte, mais la vérité qui vous dit : vous vous haïssez. Plus vous dites que vous vous aimez, plus vous vous haïssez, car « celui qui aime l’iniquité, hait son âme ». Que dirai-je de la- chair qui est la partie la plus vile de nous-mêmes ? S’il hait son âme, comment aime-t-il sa chair ? Ceux donc qui aiment l’iniquité, haïssent leur âme, et couvrent leur chair de turpitude. Vous qui aimez l’iniquité, comment vouliez-vous que l’on vous abandonnât le prochain, afin que vous l’aimassiez comme vous-même ? O homme, pourquoi vous perdez-vous ? Si vous vous aimez de manière à vous perdre, ne perdrez-vous pas celui que vous aimez comme vous-même ? Je vous défends donc d’aimer qui que ce soit ; périssez du moins seul, si vous voulez périr. Ou bien réformez votre amour, ou bien renoncez à toute société.



CHAPITRE V. AMOUR PERNICIEUX POUR LE PROCHAIN.

5. Vous me direz peut-être : J’aime mon prochain comme moi-même. Je comprends parfaitement. Vous voulez vous enivrer avec celui que vous aimez comme vous-même. Faisons-nous du bien aujourd’hui, buvons autant que nous pouvons. Reconnaissez que c’est ainsi que vous vous aimez, et qu’en attirant à vous votre prochain vous l’invitez à ce qui vous plaît. Il est nécessaire que celui que vous aimez, vous l’entraîniez à ce qui flatte l’amour que vous avez pour vous-même. Homme tout humain, ou plutôt homme cruel, d’aimer ce qu’aiment les bêtes sauvages ! Dieu a courbé vers la terre la face des animaux pour y chercher leur nourriture ; pour vous il vous a élevé au-dessus de cette terre que vous ne touchez que du pied. Il a voulu que votre front fût tourné vers le ciel. Que votre cœur ne démente point votre visage. N’ayez point le front haut et le cœur rampant, écoutez plutôt cette parole aussi belle que vraie : Le cœur en haut ; ne mentez pas dans la maison de la discipline. Quand cette parole vous est adressée, répondez ; mais que votre réponse ne soit point un mensonge. C’est dans ce sens que vous devez vous aimer et alors vous aimerez votre prochain comme vous-même. Qu’est-ce qu’avoir son cœur en haut, si ce n’est réaliser cette première parole : « Vous aimerez le Seigneur votre Dieu de tout votre cœur, de toute votre âme et de tout votre esprit ? » Puisqu’il y a deux préceptes, n’en formuler qu’un serait-il suffisant ? Un seul suffit, pourvu qu’il soit bien compris. En effet nous trouvons dans l’Ecriture ces paroles citées par saint Paul : « Vous ne commettrez point d’adultère, vous ne serez point homicide, vous ne déroberez point, vous ne convoiterez point, et s’il y a quelqu’autre commandement il se trouve résumé,dans cette parole : Vous aimerez votre prochain comme vous-même. L’amour qu’on a pour son prochain ne souffre pas qu’on lui fasse aucun mal, et ainsi l’amour est l’accomplissement de la loi  ». Qu’est-ce que la charité ? La dilection. Sans paraître avoir rien dit de la dilection envers Dieu, l’Apôtre laisse à entendre que. la dilection pour le prochain suffit à l’accomplissement de la loi. Tout autre commandement se trouve résumé, observé dans cette parole. Dans laquelle ? « Vous aimerez votre prochain comme vous-même ». Voilà un commandement ; pourtant nous avons dit qu’il y en a deux dans lesquels se résument toute la loi et les prophètes.


CHAPITRE VI. LE BONHEUR DE L’HOMME CONSISTE A AIMER DIEU.

Voyez comme la loi continue à se restreindre, et nous sommes encore négligents ! Voilà que les deux préceptes dont Obus parlions se résument en un seul. Aimez votre prochain, et cela suffit. Mais aimez-le comme vous vous aimez vous-même, et non comme vous vous haïssez vous-même. Aimez votre prochain comme vous-même, mais avant tout aimez-vous vous-même.

6. Il vous reste à chercher comment vous vous. aimez vous-même, et alors vous avez