truisant, puisque le fléau suspendu sur leur tête ne porta aucune atteinte ni aux personnes, ni aux maisons ni aux murailles de la ville ? On voit parfois un père lever la main pour frapper son enfant coupable et lui pardonner à cause de ses supplications et de son repentir ; Dieu fit de même à l’égard de cette cité malheureuse. Cependant, lorsque toute la population se fut retirée, si le Seigneur avait frappé la ville et l’avait détruite comme il a détruit Sodome ; même alors pourrait-on douter de la miséricorde de Dieu à l’égard des habitants qu’il aurait prévenus du désastre en les invitant à prendre la fuite ? Eh bien ! l’on ne doit pas douter davantage de la miséricorde exercée par Dieu à l’égard de la ville de Rome, puisqu’avant l’incendie allumé par les ennemis il avait permis qu’une multitude de ses habitants en sortissent. On vit donc disparaître et ceux qui s’enfuirent et ceux que la mort vint frapper ; et même parmi ceux qui restèrent il y en eut un grand nombre qui se cachèrent, et beaucoup d’autres qui trouvèrent dans les lieux saints un refuge assuré contre la mort. Le malheur qui est venu fondre sur Rome, n’est donc pas une destruction mais un châtiment dont Dieu se servit pour la convertir. N’est-il pas dit dans l’Evangile que le serviteur qui connaît la volonté de son maître, et s’obstine à faire le mal, sera frappé de verges[1] ?
CHAPITRE VIII.
9. Que ce châtiment nous serve d’exemple ; que cet incendie à la clarté duquel le Seigneur nous montre si bien l’instabilité et la caducité des vanités du monde, éteigne pour toujours dans la crainte la concupiscence mauvaise et l’appétit désordonné des voluptés coupables, plutôt que de servir de prétexte à des murmures blasphématoires contre Dieu. L’aire n’éprouve-t-elle pas les déchirements du traîneau quand on veut broyer l’épi et purifier le grain ; la fournaise a besoin d’être chauffée pour réduire la paille en cendres et purifier l’or. De même la tribulation est venue fondre sur Rome, pour purifier et délivrer l’homme juste, et pour y frapper l’impie du châtiment qu’il méritait, soit que la mort l’ait précipité dans le gouffre des souffrances éternelles, soit que dans la vie qui lui était conservée il n’ait trouvé qu’une occasion de blasphémer avec plus d’audace, soit enfin que Dieu, dans son infinie miséricorde, ait voulu purifier dans la pénitence ceux qu’il prédestinait à jouir du bonheur du ciel. Que les souffrances des justes ne soient point pour nous un sujet de scandale ; elles ne sont pour eux qu’une épreuve, et non point un signe de réprobation. Nous frémissons d’horreur en voyant sur la terre le juste en proie aux tribulations de la calomnie et de la douleur, et nous oublions ce qu’eut à souffrir le juste par excellence et le Saint des saints.
Ce que Rome a souffert, un homme l’avait souffert avant elle. Et voyez quel est cet homme : « le Roi des rois et le Seigneur des seigneurs[2] », lié, garotté, flagellé, couvert de tous les outrages, suspendu à une croix, et y rendant le dernier soupir. Crucifiez Rome avec Jésus-Christ ; crucifiez toute la terre avec Jésus-Christ ; crucifiez le ciel et la terre avec Jésus-Christ ; quelle comparaison établir entre la créature et le Créateur, entre l’œuvre et l’Ouvrier ? « Tout a été fait par lui et rien n’a été « fait sans lui[3] », et cependant il a été traité comme un ver de terre par ses persécuteurs.
Supportons donc ce que Dieu veut que nous supportions ; n’est-il pas le bon médecin qui connaît parfaitement quelle douleur pourra nous guérir ? Il est écrit : « La patience est parfaite dans ses œuvres[4] », quelle sera donc l’œuvre de la patience, si nous n’avons rien à souffrir ? Pourquoi refusons-nous de souffrir les maux temporels ? Craignons-nous donc d’arriver à la perfection ? Prions avec ardeur dans les gémissements et dans les larmes, conjurons le Seigneur de réaliser à notre égard cette belle parole de l’Apôtre : « Dieu est fidèle, et il ne permettra pas que vous soyez tentés au-dessus de vos forces, mais il vous fera tirer avantage de la tentation, afin que vous puissiez persévérer[5] ».