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CHAPITRE VI.

dans quel sens peut-on dire que dieu épargna rome, en considération des justes.

6. Plût à Dieu que nous puissions voir de nos propres yeux les âmes de ces saints qui sont morts dans la guerre ! vous comprendrez alors comment Dieu épargna la ville. Des milliers de saints placés aujourd’hui dans le séjour de la joie et du repos chantent au Seigneur : Soyez béni de nous avoir arrachés aux tribulations et aux tourments de la chair. Soyez béni, parce que nous n’avons plus à craindre ni les barbares, ni les démons, ni la faim, ni la tempête, ni l’ennemi, ni le licteur, ni l’oppresseur ; nous sommes morts pour la terre, mais non pour vous, Seigneur ; et, grâce, non point à nos mérites mais à vos largesses, nous goûtons les joies du salut dans votre royaume. Quelle est donc cette cité qui fait retentir ces joyeux accents ? Une cité n’est-elle quelque chose que par ses murailles ? C’est dans ses habitants qu’elle existe et non dans ses remparts. Si Dieu disait aux Sodomites : Fuyez, parceque je vais brûler ce lieu, leur ferions-nous un grand mérite de fuir, avant que le feu tombant du ciel eût dévoré leurs remparts et leurs murailles ? En leur permettant de fuir et d’échapper aux ravages de l’incendie. Dieu n’aurait-il pas épargné la ville ?

7. Je vais vous citer un fait dont peu d’années nous séparent, que plusieurs de mes auditeurs connaissent, et dont peut-être ils ont été les témoins. Sous l’empereur Arcadius, à Constantinople. Dieu voulant effrayer la ville et en l’effrayant la corriger, la convertir, la purifier, la changer, apparut à l’un de ses serviteurs fidèles, à un soldat, dit-on, lui annonça que bientôt le feu du ciel allait dévorer la cité, et le chargea d’en faire la révélation à l’évêque. Il obéit ; l’évêque reçut cet avertissement et en fit part à son peuple ; aussitôt toute la ville s’empressa de faire pénitence à l’exemple de l’antique Ninive[1]. Cependant le jour prédit parle Seigneur arriva. Ne voulant pas que l’on pût accuser de mensonge ou d’illusion l’auteur de cette prophétie, au moment où tous les habitants frappés de crainte n’attendaient plus que la mort, Dieu fit apparaître, au commencement de la nuit, une nuée de feu du côté de l’Orient ; à mesure qu’elle approchait de la ville, elle prenait une extension gigantesque et bientôt elle s’arrêta suspendue et couvrant la ville tout entière. C’était comme une flamme immense toute prête à tomber et exhalant une odeur de souffre. Tous les habitants se réfugièrent dans le temple, et bientôt l’enceinte sacrée ne fut plus suffisante, et chacun des néophytes s’empressait de demander le baptême à quiconque pouvait le lui conférer. L’eau sainte coulait ainsi, non-seulement dans l’Eglise, mais dans les rues et sur les places publiques ; tous cherchaient dans ce sacrement une protection, non pas contre le malheur présent, mais contre le malheur futur. Le trouble était à son comble et Dieu avait suffisamment confirmé la vérité de ses paroles et de la révélation qui en avait été faite par son serviteur. Alors la nuée diminua comme elle avait grossi et se dissipa peu à peu. Le peuple commençait à se rassurer, quand on vint lui dire qu’il fallait prendre la fuite parce que la ville périrait le samedi suivant. Tous les habitants, l’empereur à leur tête, s’enfuirent aussitôt ; toutes les maisons furent abandonnées sans que personne en fermât les portes ; en s’éloignant de ces murailles, en jetant un dernier regard sur sa demeure aimée, chacun lui adressait l’adieu suprême qu’étouffaient bientôt les soupirs et les larmes. La foule tout entière s’était portée en un même lieu à quelques milles de la ville, et là elle adressait à Dieu les plus ferventes prières, quand elle aperçut tout à coup une épaisse et immense fumée. Il y eut alors de toutes les bouches à la fois un effroyable cri lancé vers le ciel, et suivi d’un silence solennel et profond. Quand l’heure annoncée pour le désastre se fut écoulée, des héraults furent envoyés pour constater l’état des choses, et revinrent promptement, annonçant que la ville était intacte, et les murailles et les maisons parfaitement conservées. Avec quelle joie tous les habitants opérèrent leur retour, chacun retrouvant sa demeure, la porte restée ouverte et sans qu’aucun objet en eût disparu[2].

CHAPITRE VII.

constantinople et rome.

8. Que dirons-nous donc ? Etait-ce sa colère, ou n’était-ce pas plutôt sa miséricorde que Dieu faisait éclater ? Peut-on douter qu’en sa qualité de Père très-miséricordieux il ait voulu corriger et punir en effrayant et non en dé-

  1. Jonas, iii, 5.
  2. Ce fait est rapporté par Baronius. Voir Edit. de Bar-le-Duc, tom. VI, pag. 199-200.