Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XII.djvu/363

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au Fils seul que se rapportent ces paroles de l’Apôtre : « Lorsqu’il aura remis son royaume à Dieu son Père, et qu’il aura anéanti tout empire, toute domination et toute puissance ( Cor., XV, 24.) ». Le Fils soumet donc toutes choses à son Père dès là qu’il anéantit tout empire et toute puissance.

16. Cependant il ne faut pas croire que le Fils s’ôte à lui-même son royaume parce qu’il le remet à son Père. Car quelques-uns ont poussé jusqu’à ce point l’aberration du langage. Il n’en est rien, et en remettant le royaume à Dieu le Père, Jésus-Christ n’abdique point sa royauté, puisqu’il est avec le Père un seul et même Dieu. Mais ce qui trompe ici ces esprits qui n’étudient que légèrement nos saintes Ecritures, et qui se passionnent pour de vaines disputes, est la conjonction jusqu’à ce que. L’Apôtre dit en effet : « Il faut que le Christ règne jusqu’à ce qu’il ait mis tous ses ennemis sous ses pieds (Ibid., XV, 25 ) ». Et de là nos adversaires concluent qu’alors il ne règnera plus. Ils ne comprennent donc point qu’on doit attacher ici au mot jusqu’à ce que le même sens que dans ce verset du psaume cent onzième : « Son cœur est affermi, et il ne se troublera point jusqu’à ce qu’il voie la ruine de ses ennemis (Ps., CXI, 8 ) » ; c’est-à-dire qu’il ne sera plus sujet au trouble ni à la crainte, parce qu’il aura vu la ruine de ses ennemis. Eh quoi ! encore cette parole : « Lorsque le Christ aura remis le royaume à Dieu le Père », signifie-t-elle que jusqu’à ce moment Dieu le Père n’aura point régné ? Non sans doute : mais Jésus-Christ, qui est vrai Dieu et vrai homme, qui s’est fait médiateur entre Dieu et les hommes, et qui règne aujourd’hui par la foi sur les justes, les introduira alors dans cette vision intuitive, que l’Apôtre appelle « une vision face à face (I Cor., XIII, 12 ) ». C’est pourquoi cette parole : « Lorsque le Christ aura remis le royaume à Dieu le Père », doit être entendue dans ce sens : lorsque le Christ aura conduit les vrais croyants à la vision claire et parfaite de Dieu le Père. Il a dit en effet lui-même : « Toutes choses m’ont été données par mon Père ; et nul ne connaît le Fils, si ce n’est le Père ; et nul ne connaît le Père, si ce n’est le Fils, et celui à qui le Fils aura voulu le révéler ( Matt., XI, 27) ». C’est donc alors que le Fils révélera pleinement le Père aux yeux des élus, parce qu’il détruira tout empire, toute domination et toute puissance. Mais il opérera lui-même cette destruction, et il n’y emploiera point le secours des esprits célestes, les trônes, les vertus et les principautés. Aussi peut-on appliquer au juste sur la terre ce passage du Cantique des cantiques où l’Epoux dit à l’épouse : « Je te donnerai un miroir d’or entrelacé d’argent, tandis que le Roi repose sur sa couche ( Cant., I, 11 ) ». Or, ce roi est le Christ dont la vie est cachée en Dieu, selon cette parole de l’Apôtre : « Votre vie est cachée en Dieu avec Jésus-Christ ; et lorsque Jésus-Christ, qui est votre vie, paraîtra, vous paraîtrez aussi avec lui dans la gloire ( Coloss., III, 4 ) ». Mais en attendant cet heureux jour, « nous ne voyons Dieu que comme dans un miroir et sous des images « obscures, mais alors nous le verrons face à face ( Cor., XIII, 12 ) ».

17. C’est cette vision intuitive qui nous est montrée comme le but de toutes nos actions et la perfection de notre bonheur. Car « nous sommes les enfants de Dieu, mais ce que nous serons un jour ne paraît pas encore. Nous savons seulement que, quand il viendra dans sa gloire, nous serons semblables à lui, parce que nous le verrons tel qu’il est ( Exod., III, 14 ) ». Le Seigneur disait autrefois à Moïse, son serviteur : « Je suis celui qui est, et vous direz aux enfants d’Israël : Celui qui est m’a envoyé vers vous ( Exod., III, 14 ) ». Eh bien la contemplation de cet Etre suprême est réservée pour l’éternité. Le Sauveur dit en effet : « La vie éternelle, ô mon Père, est de vous connaître, vous le seul Dieu véritable, et Jésus-Christ que vous avez envoyé ( Jean XVII, 3 ) ». Or ce mystère ne nous sera pleinement révélé, que « lorsque le Seigneur viendra, et qu’il éclairera ce qui est caché dans les ténèbres (I Co., IV, 5) ». Car alors nous dépouillerons, pour ne plus les reprendre, les grossières enveloppes de la corruption et de la mortalité ; et nous verrons luire cette aurore céleste dont le psalmiste a dit : « Dès l’aurore je me présenterai devant vous, et je vous contemplerai ( Ps., V, 5) » Je rapporte donc à cette ineffable contemplation ces paroles de l’Apôtre : « Lorsque le Fils aura remis son royaume à Dieu le Père », c’est-à-dire, lorsque Jésus-Christ vrai Dieu et vrai homme, et médiateur entre Dieu et les hommes, aura conduit à la vision