Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XII.djvu/391

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toutes choses ont été faites ( Jean, I, 1, 3) » ; ni l’Esprit-Saint, qui est l’Esprit de sagesse ? Quel est donc le semis de cette prière : « Montrez-vous manifestement à moi, afin que je vous voie ? » Evidemment Moïse veut dire : Seigneur, découvrez-moi votre essence divine. Sans cette parole, on eût pu excuser la témérité de ceux qui soutiennent que Moïse contempla réellement l’essence divine par l’intermédiaire des divers prodiges qui s’accomplirent sur le Sinaï. Mais quand nous l’entendons ici formuler un désir qui ne doit pas être exaucé, oserions-nous encore affirmer que sous ces diverses formes, qui frappaient sensiblement ses regards, ce n’étaient point des créatures visibles et matérielles qu’il apercevait, mais bien l’essence divine. 28. Au reste, les paroles suivantes de Dieu à Moïse confirment ce raisonnement. « Tu ne pourras, lui dit-il, voir ma face ; car l’homme ne me verra point sans mourir. Et il ajouta : Voici un lieu près de moi : tu te tiendras là, sur ce rocher. Lorsque ma gloire passera, je te placerai dans un creux du rocher, et je te couvrirai de ma main jusqu’à ce que ma gloire soit passée. Ensuite je retirerai ma main, et tu me verras par derrière, mais il ne te sera point donné de voir ma face ( Exod., XXXIII, 20, 23 ) ».


CHAPITRE XVII.

VOIR DIEU PAR DERRIÈRE.

Cette expression : « Tu me verras par derrière », peut s’entendre très-convenablement de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et marquer ainsi la chair en laquelle il est né de la vierge Marie, est mort et est ressuscité. Et en effet le mystère de l’Incarnation, par lequel le Verbe s’est fait homme, ne s’est accompli que vers la fin des siècles, tandis que ce même Verbe, considéré comme la face de Dieu, existe de toute éternité, Mais en tant qu’il n’y a point en lui usurpation de se dire l’égal de Dieu le Père, jamais l’homme n’a pu le voir sans mourir. Si vous m’en demandez la raison, je vous répondrai tout d’abord qu’après cette vie où nous sommes éloignés du Seigneur, et où le corps qui se corrompt appesantit l’âme, nous le verrons « face à face », selon l’ex pression de l’Apôtre. C’est en parlant de cette vie mortelle et terrestre, que le psalmiste a dit que « tout homme vivant n’est que vanité » ; et encore, « que nul homme vivant ne se justifie « devant le Seigneur I( Ps., XXXVIII, 6, CXLII, 2 ) » Dans cette vie, dit également l’apôtre saint Jean, « ce que nous serons un jour ne paraît pas encore, mais nous savons que, quand le Christ viendra dans sa gloire, nous serons semblables à lui, parce que nous le verrons tel qu’il est ( I Jean, III, 2 ) ». Or, qui ne comprend que l’Apôtre désigne ici cet état heureux où la mort et la résurrection doivent nous établir ? J’observe en outre, qu’autant ici-bas nous pénétrons en la connaissance de la sagesse divine, qui a fait toutes choses, autant nous mourons aux affections de la chair. Ainsi, de jour en jour le monde meurt à notre égard, et nous mourons au monde, en sorte que nous pouvons dire avec l’Apôtre : « Le monde est crucifié pour moi, et je suis crucifié pour le monde ( Gal., VI, 14 ) ». C’est encore de cette mort que le même Apôtre a dit : « Si vous êtes morts avec Jésus-Christ, pourquoi agissez-vous comme si vous viviez dans le monde ( Coloss., II, 20 ) ? » C’est aussi que nul homme ne peut voir, sans mourir, la face, c’est-à-dire la manifestation pleine et entière de la sagesse divine. Car c’est là cette vision béatifique, après laquelle soupire tout homme qui s’étudie à aimer Dieu de tout son cœur, de toute son âme et de tout son esprit, et qui,. aimant ses frères comme lui-même, s’efforce, autant qu’il est en lui, de les amener au même bonheur. Eh ! n’est-ce pas en ce double amour de Dieu et, du prochain que sont renfermés la loi et les prophètes ? Au reste, Moïse nous en offre un bel exemple ; car, tout brûlant d’amour pour le Seigneur, il dit d’abord : « Si j’ai trouvé grâce devant vous, faites que je vous voie et que je vous connaisse, afin que je trouve grâce devant vos yeux » ; et puis il ajoute immédiatement, comme preuve de son amour pour ses frères : « Faites aussi que je connaisse par là que toute cette multitude est votre peuple ». Telle est cette vision béatifique qui ravit toute âme du désir de la posséder. Mais ce désir est d’autant plus ardent en nous que notre vie est plus pure ; et la pureté de celle-ci s’augmente selon nos efforts pour nous élever à la spiritualité, de même que nos progrès dans cette dernière voie se mesurent sur notre mort, plus ou moins parfaite, aux affections de la chair et du sang. Nous ne saurions donc,