Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XII.djvu/411

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

LIVRE QUATRIÈME : COMMENT DIEU A-T-IL APPARU ?

Mystère de l’Incarnation. — Comment le Verbe fait chair dissipe nos ténèbres, nous fait connaître la vérité, rend la vie à notre âme et à notre corps. — Digression sur le nombre six, qui, multiplié par quarante-six, exprime celui des jours que le Sauveur demeura dans le sein de sa mère. — Tous les fidèles ne forment en Jésus-Christ qu’un seul corps ; comment Jésus-Christ leur a mérité la gloire éternelle. Au reste, quoique le Verbe ait été envoyé par le Père, et qu’il lui soit inférieur comme homme, il n’en reste pas moins, selon sa nature divine, égal, coéternel et consubstantiel à son Père. Il faut en dire autant du Saint-Esprit, qui est Dieu comme le Père et le Fils.

PRÉFACE.

1. La science que les hommes estiment le plus, est celle qui a pour objet le ciel et la terre ; mais une autre science bien plus estimable est la connaissance de soi-même. Oui, l’homme qui connaît sa propre faiblesse, mérite d’être loué au-dessus du philosophe qui, tout bouffi d’orgueil, étudie le cours des astres ou pour y faire des découvertes nouvelles, ou pour vérifier les anciennes. Hélas ! il ignore quelle route peut le conduire au salut et à l’éternel bonheur. Au contraire le vrai chrétien dont l’âme s’élève vers Dieu, s’embrase facilement au contact des feux de l’Esprit-Saint. Parce qu’il aime le Seigneur, il devient humble ses propres yeux ; et parce qu’il veut s’en approcher, et qu’il en est empêché, il sonde sa conscience à la lueur des splendeurs célestes. Il se rend donc compte de son état, et il reconnaît que son âme est trop souillée pour qu’elle puisse réfléchir l’éclat de la pureté divine. C’est pourquoi ce chrétien répand devant le Seigneur de douces larmes, et le conjure d’avoir de plus en plus compassion de lui, jusqu’à ce qu’enfin délivré du poids de ses misères il puisse le prier avec une entière confiance, et trouver l’assurance de son salut dans la médiation du Verbe éternel, qui est venu éclairer et sauver tous les hommes. Or toute science qui réunit ainsi la componction à l’étude, n’est point la science qui enfle, mais la charité qui édifie. Et en effet celui qui la possède a fait un choix judicieux et il a préféré connaître sa propre faiblesse, plutôt que de mesurer l’étendue de l’univers, les profondeurs de la terre et la hauteurs des cieux. Mais surtout il est digne d’éloges, parce qu’à cette science il joint la componction du cœur, c’est-à-dire la tristesse de l’exil et le regret d’être éloigné de la patrie céleste, et séparé du Dieu souverainement heureux.

Et moi aussi, Seigneur, mon Dieu, je suis comme ce chrétien, serviteur de votre Christ, et comme lui je gémis au milieu des pauvres qui vous tendent la main. Donnez-moi donc quelques miettes de votre science, afin que je puisse satisfaire aux demandes de ceux qui n’ont point faim et soif de la justice, mais qui sont pleins et rassasiés de leurs propres mérites. C’est l’orgueil qui les rassasie, et non votre vérité, qu’ils repoussent dédaigneusement. Aussi tout en voulant s’élever, retombent-ils dans l’abîme de leur vanité. Certes, je n’ignore pas de combien d’illusions le cœur de l’homme est le jouet ! Et qu’est-ce que mon cœur sinon le cœur de l’homme ? C’est pourquoi je prie le Dieu de mon cœur de ne point permettre que l’erreur se glisse sous ma plume, et qu’au contraire je donne à la vérité en cet ouvrage tout le développement dont je serai capable. Sans doute, je suis éloigné des regards du Seigneur, niais je m’efforce de revenir à lui, quoique de bien loin, et je suis la voie que nous a tracée son Fils unique qui s’est fait homme pour notre salut. Aussi ai-je confiance que sa vérité suprême daignera m’éclairer. Je la reçois, il est vrai, dans un esprit muable et changeant, et toutefois je n’aperçois en elle rien qui soit comme les corps, soumis aux lois de la durée et de l’espace. Bien plus, elle est, plus encore que notre pensée, indépendante du temps et des lieux, et semblable à certains raisonnements de notre intelligence elle s’affranchit complètement de tout calcul numérique, non moins que de toute image locale. C’est qu’elle repose en l’essence divine, qui est souverainement immuable dans son éternité comme dans sa véracité et sa volonté. Car en Dieu la vérité est éternelle, de même que l’amour est éternel ; en lui tout ensemble l’amour est vérité, et l’éternité est vérité l’éternité est amour, et la vérité est amour.