CHAPITRE PREMIER.
IL EST BON DE CONNAÎTRE SES DÉFAUTS.
2. L’homme par le péché s’est éloigné de la joie suprême et incommunicable et toutefois il n’a pas entièrement brisé avec elle tout rapport et toute relation. Aussi parmi toutes les vicissitudes des temps et des lieux, cherche-t-il toujours l’éternité, la vérité et le bonheur. Eh ! quel est l’homme qui voudrait mourir, être trompé, ou être malheureux ? C’est pourquoi le Seigneur, condescendant aux besoins de notre exil, nous a révélé certaines vérités qui nous avertissent que la terre ne peut nous donner ce que nous cherchons, et que pour le trouver, il faut remonter au ciel. Mais si nous n’étions tombés du ciel, nous n’y chercherions pas le souverain bonheur. Au reste il fallait d’abord nous convaincre que Dieu nous aimait bien tendrement, car sans cela nous n’eussions osé nous rapprocher de lui. Mais il n’était pas moins nécessaire qu’il nous démontrât toute la gratuité de son amour, de peur que l’orgueil ne nous fit attribuer ses grâces. à nos propres mérites, et que par là, nous éloignant encore plus de lui, nous ne fussions faibles en notre force. C’est pourquoi Dieu a agi envers nous avec tant de ménagement, que nous ne pouvons attribuer nos succès qu’à son appui et à son concours. Mais alors notre amour se fortifie dans la même proportion, que notre faiblesse se reconnaît humble et impuissante. Aussi le psalmiste s’écrie-t-il « Vous séparâtes, ô Dieu ! pour votre héritage une pluie toute volontaire il était affaibli, mais vous l’avez fortifié (Ps. LXVII, 10 ) ». Or cette pluie volontaire désigne la grâce divine, et on la nomme grâce, parce qu’elle n’est point un salaire qui nous soit dû, mais un don entièrement gratuit. Et en effet, Dieu nous la donne par sa pure bonté, et non en vertu de nos mérites. Convaincus de cette vérité, nous nous défions de nous-mêmes, et en cela nous sommes faibles. Mais Dieu nous fortifiera selon cette parole qui fut dite à l’Apôtre « Ma grâce te suffit, car la force se perfectionne dans la faiblesse ( II Cor., XII, 9 ) ». Il fallait donc prouver d’abord à l’homme combien Dieu l’aimait, et ensuite en quel état le trouvait cet amour. La première chose était nécessaire pour que l’homme ne tombât pas dans le désespoir, et la seconde, pour qu’il ne devînt pas le jouet de l’orgueil. Au reste, c’est ce qu’explique très-bien ce passage de l’épître aux Romains : « Dieu a fait éclater son amour envers nous, en ce que, lorsque nous étions encore pécheurs, Jésus-Christ est mort pour nous. Maintenant donc que nous sommes justifiés par son sang, nous serons délivrés par lui de la colère de Dieu. Car si lorsque nous étions ennemis de Dieu, nous avons été réconciliés avec lui par la mort de son Fils, à plus forte raison, réconciliés, serons-nous sauvés par la vie de ce même Fils ». Après cela que dirons-nous ? « Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? S’il n’a pas épargné son propre Fils, et s’il l’a livré à la mort pour nous tous, que ne nous donnera-t-il point, après nous l’avoir donné (Rom., V, 8, 10, VIII, 31, 32. ) ? » C’est cette rédemption qui était montrée de loin aux anciens justes, afin que par la croyance au Messie futur ils fussent tout ensemble humbles et faibles, forts et affermis. 3. Mais parce que le Fils de Dieu est unique, que ce Verbe divin a fait toutes choses, et qu’il est la Vérité suprême et immuable, nous devons le considérer comme le principe premier et nécessaire de tous les êtres qui existent actuellement dans le monde, et même de ceux qui ont été et qui seront. Toutefois dans le Verbe rien n’a été, ni ne sera, mais tout est ; en lui encore tout est vie, et toutes choses sont un, ou plutôt il est seul l’unité parfaite et la vie parfaite. Car si tout a été fait par lui, il suit qu’il possède par lui-même la plénitude de la vie, et qu’il ne l’a point reçue. Aussi l’évangéliste ne nous dit-il pas que le Verbe a été fait au commencement, mais « qu’au commencement le Verbe était avec Dieu, que le Verbe était Dieu et que toutes choses ont été faites par lui (Jean, I, 1,3 ) ». Or, comment le Verbe eût-il fait toutes choses, si lui-même n’eût existé avant toutes choses, c’est-à-dire s’il n’était incréé et éternel ? Et même les êtres bruts et insensibles n’eussent point été faits par lui, si avant d’exister, ils n’eussent possédé en lui la vie et le mouvement. Et en effet, tout ce qui a été fait était déjà vie dans le Verbe ; mais non une vie quelconque. Car il y a d’abord l’âme ou la vie des corps, qui est soumise aux lois du changement par cela seul qu’elle a été faite. Eh ! par qui a-t-elle été faite, si ce n’est par le Verbe de Dieu, qui est immuable de sa nature ? Oui, « tout a été fait