Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XII.djvu/499

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et la volonté, de l’une et l’autre, ou la différence des trois natures. Bien que la trinité dont il s’agit maintenant soit introduite du dehors dans l’âme, cependant elle s’opère à l’intérieur et n’est pas d’une autre nature qpe l’âme elle-même. Comment donc peut-on démontrer que la volonté n’est pas en quelque façon le père ou le fils, soit de la ressemblance corporelle qui est contenue dans la mémoire, soit de celle qui en est formée quand nous avons un souvenir, puisqu’elle les unit tellement par la pensée qu’elles semblent ne faire qu’un et ne peuvent être discernées que par la raison ? Tout d’abord il faut voir qu’il ne peut y avoir volonté de se souvenir, si les replis de la mémoire ne contiennent, ou en totalité ou en partie, ce dont nous voulons nous souvenir. En effet, on ne saurait vouloir se rappeler une chose oubliée en tout sens et complètement, puisqu’il faut déjà se souvenir que ce dont on veut se souvenir est ou a été dans la mémoire. Par exemple, si je veux me rappeler ce que nous avons mangé hier à souper, je me souviens ou de mon souper, ou de quelque circonstance qui s’y rattache, tout au moins du jour d’hier, de la partie du jour où l’on soupe d’ordinaire, et de ce que c’est que souper. Si je ne me rappelais rien de ce genre, je ne pourrais vouloir me rappeler ce que j’ai mangé hier à souper : d’où il faut conclure que la volonté de se souvenir procède des choses renfermées dans la mémoire, et en outre de celles qui en sont tirées par le souvenir, c’est-à-dire par l’union, qui s’opère entre l’objet que nous nous rappelons et la vision qui en est résultée dans le regard de la pensée, au moment où nous nous sommes souvenus. Mais la volonté elle-même qui opère cette union, exige aussi quelque autre chose qui est comme voisin et contigu k celui qui se souvient. Il y a donc autant de trinités de cette espèce qu’il y a de souvenirs, parce qu’il n’y a pas de souvenir où ne se rencontre ces trois choses : l’objet caché dans la mémoire même avant qu’on y pense ; ce qui se forme dans la pensée quand cet objet est vu, et la volonté qui les unit l’un à l’autre, les complète et ne fait, elle troisième, qu’un tout avec eux. Ou bien serait-ce qu’une trinité de cette espèce consisterait en ceci : que nous appellerions généralement unité tout ce que la mémoire renferme d’images corporelles, unité encore la vision générale de l’âme exerçant sur ces objets sa pensée et ses souvenirs, puis, que la volonté intervenant, une troisième, pour joindre ensemble ces deux unités, les trois choses réunies ne formeraient qu’un seul tout ?


CHAPITRE VIII. DIVERSES MANIÈRES DE PENSER.


Mais comme le regard de l’âme ne saurait embrasser d’un seul coup d’œil tout ce que contient la mémoire, les trinités des pensées alternent et se succèdent, d’où résulte cette trinité indéfiniment multiple, mais non infinie, tant qu’on ne s’élève pas au-dessus de la somme des choses renfermées dans la mémoire. En effet, s’il était possible d’additionner toutes les sensations que l’on a éprouvées depuis que l’on est en relation avec le monde matériel, voire même celles que l’on a oubliées, la quantité en serait certainement fixe et limitée, quoique innombrable. Nous donnons le nom d’innombrable, non-seulement à l’infini, mais à toute quantité finie qui excède nos calculs.

13. Mais voici en quoi on peut voir plus clairement que ce qui est caché dans la mémoire n’est pas ce qui se reproduit dans la pensée de celui qui se souvient, bien que ces deux choses soient tellement -unies qu’elles semblent n’en faire qu’une : c’est que, en fait d’images corporelles, notre mémoire est limitée au nombre, à l’étendue, à la qualité des sensations éprouvées : car l’âme ne les grave dans sa mémoire que d’après la réalité ; tandis que les visions de la pensée occasionnées par ce que la mémoire contient, se multiplient et varient sans nombre et sans fin. Ainsi je ne me souviens que d’un soleil, parce que, en réalité, je n’ai pu en voir qu’un ; mais, si je le veux, j’en imaginerai deux, trois, autant qu’il me plaira ; et cette vision multiple de ma pensée est formée de cette même mémoire qui ne se rappelle qu’un soleil. Et ma mémoire se limite à ce que j’ai vu. En effet, si je me souviens d’un soleil plus grand ou plus petit que celui que j’ai vu, je ne me souviens pas de ce que j’ai vu, par conséquent je ne me souviens pas. Mais comme je me souviens, je ne me souviens que dans la proportion où j’ai vu, et néanmoins je peux à volonté me figurer ce soleil plus grand ou plus petit. Je me souviens donc de lui comme je l’ai vu ; mais je me le figure à mon gré,