Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XII.djvu/509

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

sens, ou enfin elle se plonge dans le sale bourbier de la volupté charnelle.


CHAPITRE X.

ON NE DESCEND QUE PAR DEGRÉS DANS L’ABÎME DU VICE.

15. Quand l’âme, dans son intérêt ou dans celui des autres, cherche avec bonne volonté les biens intérieurs et supérieurs, qui ne sont point le lot de quelques-uns, mais la propriété commune de tous ceux qui les aiment, et dont on jouit avec un chaste amour, sans sollicitude et sans jalousie ; s’il lui arrive alors de se tromper par ignorance dans quelque opération relative aux choses passagères qu’elle administre dans le temps, et où elle n’a pas su garder la juste mesure, c’est là une tentation qui tient à l’humanité. Et c’est une grande chose de passer cette vie, qui n’est pour ainsi dire qu’une voie de retour, sans qu’il nous survienne autre chose que des tentations qui tiennent à l’humanité (I Cor., X, 13 ). Car c’est là une faute hors du corps, qui n’est point réputée fornication et par là même se pardonne très-facilement. Mais quand l’âme fait quelque chose pour acquérir ce qui excite les sensations du corps, dans le désir de les expérimenter, d’y exceller, de les toucher et d’y trouver comme le terme de son bonheur, quoi qu’elle fasse alors, elle pèche et se déshonore ; elle commet la fornication en péchant contre son propre corps (Id., VI, 18 ) ; puis important au dedans d’elle-même les simulacres trompeurs des objets corporels et bâtissant sur eux des rêves au point de ne plus rien voir de divin hors d’eux, avare égoïste elle se remplit d’erreurs, et prodigue égoïste elle se dépouille des vertus (Rétract., liv. II, ch. XV, n. 3 ). Elle ne tombe pas tout d’un coup, il est vrai, dans une si honteuse et si misérable fornication, mais il est écrit : « Celui qui méprise les petites choses, tombera peu à peu (Eccli. XIX, 1 ) ».


CHAPITRE XI.

L’IMAGE DE L’ANIMAL DANS L’HOMME.

16. De même que le serpent ne marche pas à découvert, mais rampe par un jeu imperceptible de ses anneaux ; ainsi le mouvement de déchéance commence par de faibles négligences, part d’une coupable ambition d’être comme un Dieu et aboutit à rendre semblable à l’animal. C’est ainsi que nos premiers parents, dépouillés de la robe primitive, furent condamnés à couvrir leurs corps mortels de tuniques de peau (Gen., III, 21 ). Car le véritable honneur de l’homme c’est d’être à l’image et à la ressemblance de Dieu : image et ressemblance qui ne se conservent qu’en se maintenant unies à Celui qui les a gravées. Ainsi, moins l’homme s’aime lui-même, plus il s’attache à Dieu. Mais quand il cède au désir d’essayer sa propre puissance, il retombe, par l’effet de sa volonté, sur lui-même comme sur son centre. Ainsi pour vouloir être comme Dieu, libre de tout joug, il déchoit, par punition, de sa position moyenne, et est entraîné vers les choses inférieures, c’est-à-dire vers les jouissances des animaux. Son honneur étant de ressembler à Dieu, son déshonneur est de ressembler aux animaux : « Placé dans une situation honorable, l’homme n’a pas compris sa grandeur ; il s’est assimilé aux animaux privés de raison et leur est devenu semblable (Ps., LVIII, 13 ) ». Or comment, de si haut, tomberait-il si bas, sans passer par lui-même ? En effet, quand, abandonnant l’amour de la sagesse qui reste toujours immuable, on ambitionne la science qui se fonde sur l’expérience des choses changeantes et passagères, cette science enfle et n’édifie pas (I Cor., VIII, 1 ) ; l’âme comme accablée de son propre poids est exclue de la béatitude, et, par l’expérience de sa propre médiocrité, elle apprend à ses dépens quelle distance il y a entre le bien qu’elle a perdu et le mal qu’elle a commis ; et vu la dissémination et la perte de ses forces, elle ne peut plus revenir si la grâce de son Créateur ne l’appelle à la pénitence et ne lui remet ses péchés. Car qui délivrera l’âme malheureuse du corps de cette mort, sinon la grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur (Rom., 24, 25 ) ? Nous parlerons de cette grâce en temps et lieu, avec l’aide du Seigneur.


CHAPITRE XII.

IL SE FAIT UN CERTAIN MARIAGE MYSTÉRIEUX DANS L’HOMME INTÉRIEUR. COMPLAISANCE DANS LES PENSÉES ILLICITES.

17. Achevons maintenant, avec l’aide du Seigneur, de traiter de cette partie de la raison à laquelle appartient la science, c’est-à-dire la