Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XII.djvu/515

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notre mémoire. En ceci croyants et incrédules sont d’accord : car tous savent ce que c’est que l’homme, dont ils ont connu la partie extérieure, c’est-à-dire le corps, par les yeux du corps, et la partie intérieure, c’est-à-dire l’âme, par eux-mêmes, puisqu’ils sont hommes : connaissance qui s’entretient par leurs rapports avec l’humanité, en sorte qu’ils peuvent saisir le sens de ces expressions : « Il y eut un homme dont le nom était Jean », puisqu’ils connaissent des noms pour en avoir entendu et en avoir exprimé eux-mêmes. Quant à ce qu’on ajoute : « Envoyé de Dieu », les croyants l’admettent, les incrédules en doutent ou en rient. Néanmoins les uns et les autres, à moins d’être du nombre de ces insensés extravagants, qui disent en leur cœur : « Il n’y a point de Dieu (Ps., XIII, 1 ) », tous en entendant ces paroles, ont la même pensée, savent ce que c’est que Dieu, ce que c’est que d’être envoyé par Dieu ; et s’ils ne le savent pas exactement, ils en ont du moins une idée quelconque. 3. Or, cette foi que chacun voit en son cœur, comme présente s’il est croyant, comme absente s’il est incrédule, nous la connaissons par un autre moyen que les sens. Il n’en est plus ici comme des corps que nous voyons de nos yeux corporels, et auxquels nous pouvons penser en dehors de leur présence, ou au moyen de leurs images imprimées en notre mémoire ; ni comme des choses que nous n’avons pas vues, dont nous nous formons, d’après celles que nous avons vues, une idée quelconque que nous confions à notre mémoire pour y recourir à volonté, et voir ces choses, ou plutôt pour voir en souvenir leurs images que nous avons fixées plus ou moins exactement ; ni comme d’un homme vivant, dont l’âme, bien que nous ne la voyions pas, nous est connue par la nôtre, dont les mouvements corporels attestent la vie à nos yeux, et que nous pouvons encore revoir par la pensée. Non : ce n’est pas ainsi que la foi se fait voir dans le cœur où elle habite, par celui qui la possède ; mais il la connaît d’une science très-certaine et par le cri de sa conscience. Et bien que l’on nous ordonne de croire, précisément parce que nous ne pouvons voir ce que l’on nous ordonne de croire, néanmoins nous voyons cette foi en nous, quand elle y est : parce que la foi aux choses même absentes, est présente ; parce que la foi aux choses extérieures, est intérieure ; parce que la foi aux choses qui ne se voient pas, est visible, et qu’elle se forme dans le temps au cœur des hommes, et en disparaît quand de fidèles ils deviennent infidèles. Mais quelquefois on croit à des choses fausses ; il est même reçu dans le langage de dire : On a ajouté foi à un tel, et il a trompé. C’est avec raison que cette sorte de foi — si elle mérite ce nom — disparaît du cœur, quand la vérité, une fois découverte, l’en expulse. Or il est désirable que la foi aux choses vraies devienne la réalité même. On ne peut pas dire en effet que la foi a disparu, quand on voit ce que l’on croyait. Mais peut-on encore lui conserver le nom de foi, après la définition que donne l’Apôtre dans l’Epître aux Hébreux, où il dit que la foi est la conviction des choses qu’on ne voit point (Héb., XI, 1 ) ? 4. Les paroles qui suivent : « Celui-ci vint comme témoin pour rendre témoignage à la lumière, afin que tous crussent par lui », se rapportent, comme nous l’avons dit, à l’action temporelle. En effet, c’est dans le temps qu’on rend témoignage de la chose éternelle, qui est la lumière des intelligences. C’est pour rendre témoignage de cette chose qu’est venu Jean qui « n’était point la lumière, mais pour rendre témoignage à la lumière ». Car l’Evangéliste ajoute : « Celui-là était la vraie lumière, qui illumine tout homme venant en ce monde. Il était dans le monde, et le monde a été fait par lui, et le monde ne l’a pas connu. Il est venu chez lui, et les siens ne l’ont point reçu ». Ceux qui savent notre langue comprennent toutes ces expressions d’après les choses qu’ils connaissent. De ces choses, les unes nous sont connues par les sens du corps, comme l’homme, par exemple, comme le monde, dont nous voyons si clairement l’étendue, comme les sons de ces paroles mêmes, car l’ouïe est aussi un sens ; les autres ne sont comprises que par la raison de l’âme, comme celles-ci par exemple : « Et les siens ne l’ont pas reçu ». Le sens est en effet : Ils n’ont pas cru en lui, et cette idée, ce n’est point par les sens du corps, mais par la raison de l’âme, qu’elle vient en nous. Quant aux paroles mêmes — je ne parle pas des Sons, mais de leurs significations — nous les avons apprises en partie par le sens du corps, en partie par la raison de l’âme. Ce n’était pas pour la