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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XIV.djvu/65

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SYSTÈME DES MANICHÉENS.

yeux ? S’ils ne pouvaient se refuser à proclamer l’absurdité et la folie de ces négations, je leur aurais prouvé, par là même, qu’ils doivent conclure indubitablement que cette lumière pour laquelle ils ne nous inspirent que de la vénération est de beaucoup inférieure à cette âme dont ils proclamaient la bassesse, et pour laquelle ils ne nous inspiraient que de l’éloignement et de l’horreur.

CHAPITRE IV.
L’ÂME D’UN INSECTE SUPÉRIEURE À LA LUMIÈRE CORPORELLE.

4. Mais peut-être que troublés par la vigueur de ces conclusions ils me demanderaient si l’âme d’une mouche me paraîtrait supérieure à la lumière. Ma réponse serait assurément affirmative, et sans me laisser effrayer par la petitesse de cet insecte, il me suffirait de savoir qu’il est vivant. Je demande donc, à mon tour, ce qui donne la vigueur à des membres si petits, ce qui dirige un si petit corps selon son appétit naturel, ce qui imprime le mouvement et la cadence à ses pieds, ce qui modère et fait vibrer ses petites ailes pendant son vol. Quel que soit ce principe, quiconque l’étudié attentivement, voit, dans ce petit être, briller quelque chose de si grand, qu’il laisse à une distance infinie la lumière la plus vive qui puisse frapper les yeux.

Ce quelque chose, personne n’en doute, ne peut être perçu que par l’intelligence, et à ce titre il l’emporte de beaucoup sur tout te qui est sensible, et sur la lumière elle-même ; ainsi le veulent les lois divines. En effet, le premier fondement de toute connaissance ne repose-t-il pas sur ce principe que nous mettons une différence essentielle entre percevoir par l’intelligence et sentir par le corps, et que la première de ces deux opérations l’emporte infiniment sur la seconde ? Comment dès lors ne pas préférer les choses intelligibles aux choses sensibles, quand l’intelligence est elle-même si supérieure aux sens ?

CHAPITRE V.
LES ÂMES VICIEUSES, ET LA LUMIÈRE.

5. Tant extraordinaire qu’elle soit, voici une conséquence qui s’impose à nous avec toute la force de l’évidence. L’injustice, l’intempérance et tous les autres vices du cœur nous sont connus non pas par les sens, mais par l’intelligence. Ces vices, nous les réprouvons, nous les condamnons ; et cependant, en tant du moins qu’ils sont perçus par l’intelligence, nous disons qu’ils l’emportent sur la lumière qui dans son genre mérite tous les éloges. Tenons notre esprit sous une parfaite dépendance à l’égard de Dieu, et nous comprendrons que de prime abord nous ne devons pas préférer ce que nous louons à ce que nous méprisons. Parce que je loue le plomb à cause de son extrême pureté, ce n’est pas à dire pour cela que je l’estime plus que l’or mêlé à l’alliage. Chaque chose, en effet, doit être envisagée dans son genre particulier. Je blâme un jurisconsulte pour qui un grand nombre de lois sont lettre morte, et cependant je le crois encore tellement supérieur au plus habile cordonnier, que je rougirais de les comparer l’un à l’autre. Mais je loue ce dernier à cause de l’aptitude qu’il déploie dans son art, et je blâme l’autre de se montrer inférieur à sa profession. De même je dis que l’on doit louer la lumière parce qu’elle est parfaite en ce qu’elle est ; mais parce qu’elle est de la catégorie des choses sensibles, qui le cèdent de beaucoup aux choses intelligibles, je dis qu’elle est inférieure, même aux âmes injustes et intempérantes, parce que ces âmes sont des substances spirituelles : et cependant je ne serais que juste en les jugeant dignes de damnation ; mais alors je ne cherche plus ce qui les rend supérieures à la lumière, mais ce qu’elles devraient être pour se rendre dignes de Dieu.

Je me résume ; si vous prétendez que cette lumière vient de Dieu, je suis d’accord avec vous ; mais je soutiens en même temps que nous sommes encore bien plus autorisés à dire que les âmes, même vicieuses, non pas en tant qu’elles sont vicieuses, mais en tant qu’elles sont âmes, ont dû nécessairement être créées par Dieu.

CHAPITRE VI.
LES VICES ET LA LUMIÈRE SENSIBLE.

6. Un interlocuteur habile, mais plus curieux que profond, m’arrête ici et me prie de parler, non pas des âmes vicieuses, mais des vices eux-mêmes. Ces vices, en effet, n’étant point perçus par les sens du corps, le sont nécessairement par l’intelligence ; d’un autre