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LE DÉBUT DE LA RÉVOLUTION

de Français armés. Hier, elle avait un ton de dignité attristée et une sorte de courage sans espoir. Aujourd’hui, elle parle en souveraine, elle agit en souveraine ; elle forme un Comité des recherches et un Comité des rapports, qui sont comme une ébauche anticipée des Comités de salut public et de sûreté générale. L’idée du Tribunal révolutionnaire apparaît même déjà dans le projet de former un tribunal pour juger les crimes de lèse-nation, qu’en attendant l’Assemblée jugera elle-même.

Les vieux corps privilégiés s’inclinent devant la majesté du souverain nouveau : Parlement de Paris, Cour des Comptes, Chambres des Aides, Université défilent à la barre de l’Assemblée, lui apportent comme l’hommage du passé. Les villes de France viennent aussi lui apporter comme l’hommage de l’avenir.

Cependant l’Assemblée aurait-elle osé, voulu faire table rase de l’ancien régime ? C’était contraire aux vues des philosophes, qui tous avaient déconseillé une révolution radicale.

Elle songeait même à prendre des mesures pour réprimer les insurrections partielles qu’on lui disait avoir éclaté çà et là, quand elle apprit que ces insurrections étaient partout victorieuses, que le régime féodal était par terre.

Alors, ce souffle d’enthousiasme et de révolte qui, parti de Paris, avait soulevé toute la France, souleva l’Assemblée à son tour, et, dans la nuit du 4 août 1789, ratifiant le fait accompli, elle déclara le régime féodal aboli.

Cette nation qui avait fait tout cela et dont l’Assemblée n’était plus que l’interprète, on la voyait, comme l’avait dit Grégoire à la séance du 14 juillet, idolâtre de son roi. Aussi les constituants ne songèrent-ils pas plus à détruire la royauté après la révolution municipale qu’ils n’y avaient songé avant. Les décrets du 4 août proclamèrent Louis XVI restaurateur de la liberté française[1].

Un autre décret, du 10 août, consacra la révolution municipale et fit subir un nouvel et grave échec au pouvoir royal, en brisant l’épée du roi. En effet, l’Assemblée décida, entre autres dispositions :

« Que les soldats jureront, en présence du régiment entier sous les

  1. Même ceux qui avaient conscience de la mauvaise volonté et des hésitations de Louis XVI espéraient alors changer son cœur à force d’amour, et croyaient y avoir réussi, comme le prouve la « joie générale » qui éclata dans l’Assemblée, quelques heures avant qu’elle rendît les fameux décrets du 4 août, quand elle entendit lecture de cette lettre du roi : « 4 août 1789. Je crois, Messieurs, répondre aux sentiments de confiance qui doivent régner entre nous, en vous faisant part directement de la manière dont je viens de remplir les places vacantes dans mon ministère. Je donne les sceaux à M. l’archevêque de Bordeaux ; la feuille des bénéfices à M. l’archevêque de Vienne, et le département de la guerre à M. de La Tour-du-Pin Paulin, et j’appelle dans mon conseil M. le maréchal de Bauveau. Les choix que je fais dans votre Assemblée même vous annoncent le désir que j’ai d’entretenir avec elle la plus confiante et la plus amicale harmonie. Signé : Louis. » (Point du Jour, t. II, p. 23-24)