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AU SPITZBERG.

la situation de ce pauvre peuple est toujours misérable et infime. Pour nous, elle peut être peinte par ces quelques mots : il ne mange pas de pain et ne porte pas de linge, voilà pour la misère physique ; il ignore toute science et tout art, voilà pour la misère morale.

Le Lapon ne chante jamais ; il n’a pas même cette musique qu’on pourrait appeler naturelle et dont toute peuplade sauvage a, dit-on, connaissance. Le guerrier peau rouge de l’Amérique du Nord, le colossal habitant de la Terre de Feu, le Cafre stupide et grossier répète son chant de guerre, de mort ou de triomphe, sur un rhythme cadencé et avec des éclats de voix qui forment une sorte d’harmonie bizarre et primitive. Le Lapon, lui, n’a même pas cela ; il semble que le chant, cette manifestation de la joie de l’homme, ne puisse se produire sous ce ciel glacé et au milieu de ténèbres presque continuelles.

Les Lapons sont chrétiens depuis environ deux cents ans ; ce fut Frédéric IV de Danemark qui, vers l’an 1622, envoya les premiers missionnaires en Laponie, pour y faire connaître l’Évangile, et, pendant plus d’un siècle, les rois de Danemark continuèrent à entretenir des missions dans ce but. Le christianisme eut peu d’effet sur les Lapons ; il redressa leurs consciences ignorantes, sans éveiller leurs esprits apathiques ; aussi sont-ils aujourd’hui encore à peu près tels qu’ils étaient avant sa venue ; ils ont substitué le dogme divin et civilisateur aux fictions d’une mythologie obscure et bizarre, sans que leurs mœurs s’en soient modifiées. Du reste, toute la religion étant réduite pour eux à la tradition orale, la dévotion de cha-