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VOYAGE D’UNE FEMME

Je réunis tout ce qui était fleuri dans le précieux jardin : trois violettes, deux andromèdes à fleurs bleues, quelques boutons d’or, des saxifrages étoilées, une touffe de myosotis ; j’entremêlai cela de feuilles d’oseille et de cochléaria, guirlande un peu trop culinaire, mais faite des seules feuilles vertes qu’on put se procurer.

Jamais plus humble couronne n’eut des honneurs plus magnifiques. Les Norwégiens étaient émerveillés de voir tant de fleurs, comme ils disaient, et les demoiselles Ullique regardaient avec un égal orgueil leur jardin dévasté et le buste couronné.

En y réfléchissant, ce buste du roi et moi — moi, qui déjà à Drontheim avais fait voir le premier visage de Française qu’on eût aperçu en Finmark — ce buste et moi, dis-je, étions quelque chose d’assez inusité, par ces 71° 10′ de latitude. Cependant nous n’eûmes pas les honneurs de l’étrangeté ; il y avait là quelque chose, je vous assure, de bien plus imprévu, de bien plus singulier, d’autrement inattendu, que la face coulée en bronze de ce roi, qui cinquante ans auparavant était venu pauvre et proscrit dans ce même lieu, ou la figure d’une Parisienne, qui un jour, en sortant de l’Opéra, s’en était allée explorer les régions polaires. Oui, il y avait là quelque chose d’encore plus impossible. Il y avait, je le donnerais à deviner en mille, on n’y arriverait pas ! — il y avait un perroquet ! Quoi ! un perroquet à Havesund, au bout du monde, dans cette glace, dans ces ténèbres ? Oui, un perroquet vivant ; c’est-à dire, cela avait bien été un perroquet, mais cela avait presque cessé d’en être un.