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VOYAGE D’UNE FEMME

tissement, le 14 août, nous quittions la baie Madeleine, ramenés vers la pleine mer par nos chaloupes, montées par de vigoureux rameurs. Je ne m’embarquai pas sans aller faire une dernière prière sur la tombe de ces infortunés marins qui, après notre départ, ne recevraient peut-être plus jamais aucune visite humaine.

Je vis, avec un sentiment de profond allégement, disparaître successivement à mes yeux les montagnes déchirées, les pics aigus, les glaciers immenses de la baie Madeleine ; je me sentais sauvée d’un danger imminent, le plus grand assurément que je pusse jamais courir, celui d’être emprisonnée dans ces horribles glaces et d’y mourir, comme nos prédécesseurs, dans les affreuses tortures du froid ; en outre, la contemplation des sinistres beautés du Spitzberg m’avait jeté sur l’esprit un voile d’insurmontable tristesse. Ce pays est étrange et effrayant en effet, et, s’il ne saisit pas d’une épouvante absolue lorsqu’on l’aborde, c’est qu’on a été préparé par degrés à son lamentable aspect. Les îles de la Norwége, le cap Nord, sont des étapes ; leur vue habitue peu à peu à la désolation ; mais s’il était possible d’être transporté sans transition de notre riant Paris à ces latitudes glacées, je ne doute pas qu’on ne vît les plus courageux saisis d’un sérieux effroi.

Le vent nous favorisa au retour comme à l’aller ; le 15, nous étions en vue des glaciers nommés les Trois-Couronnes, dont parlent Parry et Scoresby dans leurs relations.

Ces trois couronnes sont trois pyramides de glace d’une dimension colossale, qui dominent l’Océan