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AU SPITZBERG.

ferait peut-être fuir aujourd’hui, mais qui, servie bien chaude, me parut délicieuse sous cette pluie glaciale.

En quittant la montagne, je m’attendais, après avoir tant grimpé, à être obligée de descendre. Il n’en fut rien ; nous continuâmes notre route dans une immense plaine dont la ligne était à peine troublée par de rares mouvements de terrain ; cette plaine, aride et humide à la fois, ce qui ne s’exclut pas, était de l’aspect le plus morne, semée de pierres et tachée de mares d’eau : les pierres, petites, polies, de forme sphérique, avaient été roulées par les eaux ; les mares, dépourvues de toute végétation sur leurs bords, n’étaient que des flaques d’eau accidentelles causées par la fonte récente des neiges. Partout la terre était molle, fangeuse, crevassée ; partout les chevaux enfonçaient dans ce terrain mouvant. Quelquefois le sol n’était plus qu’un vaste bourbier : alors les pauvres animaux ne pouvaient plus tenir pied, et il fallait les décharger pour les aider à se tirer du péril. Lorsqu’on rencontrait ces dangereux marais, notre guide Abo déployait la plus admirable activité ; il semblait se multiplier au service de la sûreté de tous. Il fallait le voir inquiet, empressé, allant, venant, sondant de tous côtés avec un long bâton, et découvrant avec un tact très-sûr les meilleurs passages. Ce pauvre petit être, misérablement enveloppé dans une vieille robe de peau de renne, la tête à peine couverte, les pieds à peine chaussés, était écouté de notre troupe comme un général d’armée. Il parlait, on obéissait ; il faisait un signe, on le suivait ; son bâton ferré était bien réel-