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VOYAGE D’UNE FEMME

incroyable acharnement, et les gouttes glacées tombaient pressées sur nos lits de peaux de renne. On attendit l’aube avec impatience ; elle parut un peu après six heures et fut le signal du départ.

Les tribulations, les travaux reprirent leur cours ; nouvelle pluie, nouveaux marais ; par instants on rencontrait un coin sec paré de mousse de renne jaune et de bouleaux à feuilles de carmin, et puis on retrouvait la boue noire, odieuse, éternelle. Dans cette partie du voyage, je crus souvent ramasser de beaux morceaux de ces pierres gris lilas dont je vous ai parlé, et, lorsque je les touchais, je trouvais une substance molle comme de la terre glaise, fléchissant sous le doigt et n’ayant conservé de la pierre que la physionomie extérieure. Je ne saurais quelle cause assigner à cette transformation, s’il ne m’avait été assuré que l’excès du froid parvient à désagréger la pierre et la réduit, au bout d’un certain temps, à l’étrange matière dont j’ai vu de si nombreux échantillons sur un espace de quelques lieues.

Le 11 septembre, dans l’après-midi, la pluie se changea en neige ; nous n’en avions pas vu depuis le Spitzberg ; un vent violent s’éleva en même temps et fit tourbillonner la neige autour de nous, de manière à nous empêcher d’avancer. Notre petite caravane prit alors l’aspect le plus triste : Abo le Lapon marchait en tête ; les chevaux suivaient péniblement à la file les uns des autres, maintenus par leur conducteur dans le sentier tracé par le guide ; chacun des hommes, la tête cachée sous son capuchon, échauffant tour à tour une main sous ses vêtements, luttait de son mieux contre les difficultés de la route